À bientôt 84 ans, Rachid Ali-Yahia est demeuré un militant infatigable, qui n'a rien perdu de sa verve et de sa lucidité. Depuis l'âge de 16 ans, il a milité dans le Mouvement national au côté des Ali Laïmèche, Bennaï Ouali et Amar Aït-Hamouda pour une Algérie algérienne. Et dans le futur Etat à mettre en place après le recouvrement de l'indépendance, il devait y avoir deux langues nationales : le berbère et l'arabe algérien. Et comme il appartient “un peu au passé” (la formule est de lui), il a appelé la jeunesse à prendre le relais et à reprendre le flambeau. Et surtout à s'emparer de ses messages, diffusés un peu partout : soit via ses livres, soit lors des rencontres, publiques ou privées, qu'il multiplie malgré le poids de l'âge. Au milieu du XXe siècle, “les idées n'étaient pas très précisées” et aucun cadre n'avait été défini, a-t-il indiqué. Pourtant, sur le terrain “un courant en faveur des réalités algériennes a vu le jour au sein du Parti du peuple algérien”. Ce qui avait ébranlé, a-t-il indiqué, “la direction du PPA et conduit à sa désagrégation”. Bien que des décennies plus tard leurs idées aient pris forme et pu être conceptualisées, une bonne partie du Mouvement nationaliste algérien, qui avait “des fondements arabiste et panarabiste”, a réussi à donner une orientation arabe et panarabe à l'Algérie durant sa lutte de Libération nationale et au lendemain de l'Indépendance. Les nouvelles autorités, qui ont mis en place un Etat unitaire, se sont engagés en faveur de la langue arabe, classique alors que “l'arabe classique n'est pas une langue nationale y compris en Arabie Saoudite”, a-t-il dénoncé. Plus grave, a-t-il poursuivi, “la disparition de la langue berbère est planifiée”. Conscient du fait qu'une prise de conscience est en train de gagner la communauté “berbère arabophone” à l'est comme à l'ouest et au sud du pays, il a appelé les “Berbères berbérophones” à se mobiliser et à constituer partout des comités de défense de la langue berbère : “C'est un combat d'honneur, de nif.” Car le pouvoir algérien, a-t-il prévenu, “ne fera rien pour reconnaître cette langue nationale bien au contraire”. Et comme les conditions sont en train de naître pour une fusion à l'échelle de tout le pays, il a appelé à la naissance d'un Etat berbère en Algérie. Occasion pour lui de plaider pour un Etat fédéral spécifiquement algérien composé : d'un Etat central, qui incarne son unité ; de deux Etats nationaux, l'un berbère berbérophone, l'autre berbère arabophone, garants chacun de l'unité, de l'intégrité et du développement de sa communauté, et placés tous deux sur un plan de totale égalité ; d'Etats régionaux, fidèles reflets de leurs régions respectives, soucieux de leurs intérêts et de leurs spécificités. Il a expliqué que dans bien des pays acquis au fédéralisme, l'Etat fédéral est là pour organiser et gérer plus ou moins bien la vie de communautés nationales reposant sur des ethnies différentes, avec leurs traditions, leurs cultures et leurs langues particulières. Et pour unifier les Berbères de l'Afrique du Nord, il a défendu l'idée d'un Etat confédéral, qui inclurait même l'Egypte où le problème de la berbérité se posera, a-t-il estimé, à une échéance plus lointaine. La raison : “Des preuves de nature diverse semblent s'accumuler, qui attesteraient de la berbérité fondamentale du peuple égyptien.” Moussa Ouyougoute