“Voir ce qui est juste et ne pas le faire est un manque de courage.” (Confucius 551-479 av. J.-C. Philosophe chinois) Lors d'un récent colloque organisé par la fondation Friedrich-Erbert sur la question du harcèlement moral en milieu professionnel — initiative fort louable —, l'auteur a été surpris d'entendre certains participants déclarer que la loi algérienne ignore totalement cette violence, raison pour laquelle d'ailleurs l'inspection du Travail refuserait d'accepter “les plaintes” des victimes de ces dépassements pervers ; on souligne même, lors de cette importante rencontre, que l'article 1234 du code civil permettait de réparer, dans certains cas, le préjudice subi ! L'auteur tient à préciser que la législation algérienne du travail a bel et bien reconnu au travailleur le droit au respect de son intégrité physique et morale ainsi qu'à sa dignité (art. 6.2 de la loi n°90.1, relative aux relations de travail) ; mieux encore, la Constitution algérienne proscrit et réprime “toute forme de violence physique, morale ou d'atteinte à l'intégrité de l'être humain” (articles 34 et 35 de la Constitution). Le terrorisme en milieu professionnel constitue non seulement une grave atteinte aux droits de l'Homme (liberté d'expression, vie privée, honneur, dignité et qualité de la vie professionnelle), mais aussi aux droits et libertés reconnus à l'individu citoyen par la Constitution algérienne, notamment par ses articles 39, 41, 55. Prétendre donc que la législation algérienne ignore le harcèlement moral est une grossière erreur. Il faut reconnaître, cependant, que le droit pénal algérien ne réprime pas ce délit en dépit de sa monstruosité. Le droit pénal est donc en décalage par rapport aux droits protégés par la Constitution algérienne. Remédier à cette lacune inacceptable est donc impérieux. Il est difficile aussi d'admettre la thèse selon laquelle l'inspecteur du travail se déclare incompétent pour examiner les recours des victimes de persécutions psychologiques. En effet, cette importante institution a pour principale mission le contrôle du respect de l'application de la réglementation du travail (art. 02 de la loi n°90-03, relative à l'inspection du Travail), et comme l'employeur harceleur porte une grave atteinte à la loi sur les relations individuelles du travail (art. 6), cette situation constitue de facto un conflit individuel, de la compétence de l'inspecteur du travail conformément à l'article 2 de la loi n°90-04, relative au règlement des conflits individuels de travail. Cependant, l'employé persécuté, pour défendre ses droits, doit obligatoirement respecter certaines procédures. La personne agressée doit saisir au préalable au moyen d'une requête écrite, aussi précise que possible, son supérieur hiérarchique, ou, à défaut, sa tutelle de la situation de la persécution psychologique qu'il vit. C'est ce recours qui sera remis à l'inspecteur du travail, huit ou quinze jours (selon le cas) après sa transmission avec accusé de réception aux responsables concernés. Pour que l'inspecteur du travail puisse étudier utilement les doléances de la victime, il doit obligatoirement être en possession d'éléments probants, prouvant l'existence des faits reprochés au persécuteur. Après instruction du dossier, l'affaire est traduite devant le bureau de conciliation compétent dans le but de concilier les deux parties. En cas d'échec, un procès verbal de non-conciliation sera remis au travailleur pour lui permettre de saisir le tribunal siégeant en matière sociale. L'agressé peut s'appuyer sur l'article 6.2 de la loi relative aux relations de travail, qui reconnaît expressément au travailleur le droit d'être protégé contre le harcèlement moral, ainsi que la convention collective de l'entreprise, car cette dernière fait partie intégrante de la législation du travail et reprend en général les droits reconnus aux salariés par la loi n°90-11. Le demandeur peut renforcer son mémoire introductif, en se basant aussi sur l'article 124 bis du code civil qui considère l'exercice d'un droit comme étant abusif si son auteur cherche à nuire à autrui ou à satisfaire un intérêt illicite. Les articles 34 et 35 de la Constitution algérienne ne feront que crédibiliser davantage sa plainte. Le juge examinera l'action intentée contre l'employeur en fonction des pièces administratives dont il est en possession. Il ne faut pas perdre de vue que le harcèlement moral au travail se caractérise par l'absence d'un conflit ouvert entre les deux parties. C'est cette particularité d'ailleurs qui rend ce type de différend complexe, donc difficile à traiter. Ainsi, le harceleur et la tutelle évitent soigneusement de répondre aux plaintes de l'agressé. Les méthodes de torture morale employées par le tortionnaire sont vicieuses et il est rare que l'agresseur fasse appel aux sanctions disciplinaires, notamment quand la victime est un cadre car trop visible. Il est clair que dans un pareil contexte, il n'est pas du tout aisé d'apporter des preuves et de se défendre efficacement. Le plaideur doit aider le juge à comprendre la réalité des atrocités vécues. Les requêtes transmises à la hiérarchie, le dossier médical, les témoignages — s'ils existent — constituent des preuves probantes en mesure de permettre au magistrat d'aller au fond des choses ; les tâches dévolues au demandeur, le contenu de son dossier du personnel, souvent alourdi par des rapports dits confidentiels transmis à la tutelle pour souiller sa réputation, ainsi que les affectations et mutations administratives constituent des preuves irréfutables de l'existence des persécutions psychologiques. Le montant de la réparation du préjudice matériel tiendra compte des pertes subies et des gains dont le demandeur a été privé. (Damnum emergens-lucrum cessans). Le préjudice moral, quant à lui, sera évalué en fonction du degré de l'atteinte à l'honneur et à la dignité, le juge peut même demander “la remise des choses à leur état antérieur” (voir articles 124 et non 1234 ?, 131, 132, 182 et 182 bis du code civil. En Algérie, il est triste de constater que les harceleurs exploitent les moyens organisationnels et financiers de l'entreprise pour terroriser des travailleurs innocents ; peu importe pour les tortionnaires que la victime obtienne réparation du préjudice subi car c'est l'entreprise, bien du peuple, qui versera le montant fixé par le juge. L'action au civil ne peut, à elle seule, dissuader les persécuteurs de reprendre en toute tranquillité leurs persécutions, tout en affinant les méthodes usitées. Le comble en Algérie, c'est de constater qu'un citoyen peut très bien être emprisonné et contraint de verser une amende pour de simples injures verbales ou pour avoir maltraité un animal domestique — ne pas comprendre que l'auteur ne respecte pas l'espèce animale — (voir articles 299 et 449 du code pénal) ; cependant, un gestionnaire, qui porte atteinte à la santé d'un salarié, à son honneur ainsi qu'à sa dignité, fait supporter à l'entreprise des sommes faramineuses, occasionne à l'économie nationale des surcoûts de production importants et encombre les tribunaux de procès que l'on peut éviter, n'est pas du tout inquiété sur le plan pénal. Il est grand temps de pénaliser le harcèlement moral sur les lieux du travail ; les nations qui ont osé toucher le harceleur dans sa liberté et ses deniers ont vu le nombre de plaintes pour violences psychologiques chuter de 90%, d'autres pays sont allés plus loin, en reconnaissant le harcèlement moral comme accident du travail. kamel rahmaoui Rahmaoui Kamel est titulaire d'un magistère en sciences juridiques et administratives, doctorant en la même spécialité à l'université de Constantine (faculté de droit), il a enseigné à l'université d'Annaba le droit du travail, le droit de la Fonction publique. Il a également enseigné au Citam d'Annaba la gestion des ressources humaines et l'organisation du travail et a participé à plusieurs séminaires internationaux sur le droit du travail. Cadre à Algérie Télécom (DOT Annaba). Il est l'auteur d'un livre publié par les éditions Houma (Alger) sur le droit disciplinaire de la Fonction publique ainsi que de plusieurs contributions publiées dans les quotidiens nationaux.