«Il y a une augmentation des pratiques harcelantes dans le milieu professionnel», affirmait Khaled Kedda, psychologue et secrétaire général du Syndicat national algérien des psychologues (Snapsy). Les intervenants au premier jour du séminaire de deux jours sur le «Harcèlement moral en milieu professionnel», organisé, lundi dernier, par la Fondation Friedrich Ebert, au lycée Cheikh Bouamama (ex-Descartes), sans pouvoir en chiffrer l'ampleur, tirent la sonnette d'alarme sur le mal pernicieux et mal pris en charge que représente le harcèlement moral dans les milieux de travail. «Il y a un vide juridique dans la législation pénale et le code du travail pour traiter ces cas», affirme K. Kedda, qui rappelle que le Statut général de la Fonction publique (ordonnance n°06-03 du 15 juillet 2006), dans ses articles 30 et 37, consacre la protection des fonctionnaires contre les menaces, outrages, injures, diffamation et leur droit à des conditions de travail de nature à préserver leur dignité, santé et intégrité physique.La loi 90-11 (du 11 avril 1990) relative aux relations de travail stipule : «Dans le cadre de la relation de travail, les travailleurs ont également le droit : à une occupation effective ; au respect de leur intégrité physique et morale et de leur dignité ; à une protection contre toute discrimination pour occuper un poste autre que celle fondée sur leur aptitude et leur mérite ; à la formation professionnelle et à la promotion dans le travail, au versement régulier de la rémunération qui leur est due ; aux œuvres sociales ; à tous avantages découlant spécifiquement du contrat de travail.» Mais le harcèlement moral n'est jamais cité spécifiquement. Ce tabou, défini comme des agissements répétés ayant pour objectif ou effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits, dignité et santé physique ou psychique du travailleur, qui n'est pas inscrit comme maladie ou accident de travail, est un mal répandu à travers le monde, accentué, en Algérie, par la précarité de l'emploi et les insuffisances managériales au sein des entreprises.«Le harcèlement moral a pour objectif de pousser la victime à la démission. Il est généralisé dans le secteur public. Car, dans le privé, quand on ne veut plus d'un employé, on le vire tout simplement», soutient Nassera Merah, sociologue et présidente du séminaire.Le harcèlement moral, une pratique malsaine et dégradante, avec ses versions horizontale, verticale ou mixte, vise à isoler, humilier et dégrader la victime. Cette pratique perverse au quotidien, conduit cette dernière vers les abîmes de la dépression, de la maladie physique et des troubles de la personnalité. «La cible (du harcèlement) est une double victime. Elle l'est d'abord par le harceleur et ensuite par le silence qui l'entoure», déclare le psychologue Keddad. «En Algérie, on évite le débat social et responsabilise l'individu», poursuit-il, en dénonçant l'omerta qui caractérise ce fléau, érigé presque au statut de tabou, qui enfonce davantage la victime dans son isolement, perdant, ainsi, de plus en plus de confiance en elle.Pourtant, dans un essai publié dans un quotidien, Kamel Rahmouni, doctorant en sciences juridiques, écrit : «Les harcelés sont souvent forts de personnalité et résistent aux supérieurs. Les harceleurs, par contre, souffrent de troubles sérieux de la personnalité et mettent de ce fait en péril les intérêts de l'entreprise ou de l'administration». Expliquant par cette pratique (du harcèlement) le phénomène de la fuite des compétences algériennes à l'étranger.Alors que faire lorsqu'on est victime de harcèlement moral en milieu professionnel ? K. Kedda recommande deux approches. D'abord, caractériser la situation en tenant un cahier de bord des atteintes et en rassemblant les documents qui constitueront des preuves en cas de recours à la justice. Ensuite, rompre l'isolement en faisant appel aux relais internes (syndicats, médecin du travail, supérieur hiérarchique) et externes (Inspection du travail et médiateurs désignés par la réglementation). «On a eu des cas où l'administration (de l'entreprise ou de l'administration publique) a refusé de délivrer des accusés de réception pour un dépôt de courrier de plainte. C'est illégal», s'insurge Nassera Merah.En termes d'actions, Nadjia Zeghouda, syndicaliste, membre de la Cellule nationale des femmes travailleuse (Ugta) et militante des droits de l'Homme, préconise une compagne de sensibilisation en faveur de la lutte contre le harcèlement moral, l'installation de cellules d'écoute, la protection des témoins et une action courageuse pour intégrer cette lutte dans la législation pénale et le code du travail, à l'image de celle menée contre le harcèlement sexuel depuis 2003, avec pour résultat un texte de loi et une intégration dans le futur code du travail.Notons que les Inspections du travail ont enregistré 3,5 millions de cas de harcèlement moral dans le milieu professionnel en 2008. Le Centre d'écoute et d'aide (CEA) a enregistré, en 2004, 384 cas de harcèlement sexuel. La tranche d'âge des victimes se situe entre 21 ans et 55 ans. S. A. Le nouveau code du travail fait peur Plusieurs syndicalistes, présents au séminaire sur le harcèlement moral en milieu professionnel, disent craindre le pire pour le prochain Code du travail. «Ça ne pourra être qu'une régression par rapport au code 90 qui était presque parfait. On risque de connaître un recul important», s'alarme Nadjia Zegouda, syndicaliste. Meziane Meriane, SG du Snapest, qui dénonce l'exclusion des syndicats dans l'élaboration du nouveau Code, révèle attendre le résultat de cette «épée de Damoclès». «On a eu des échos qui font peur, notamment celui de la révision de la retraite à 32 ans», s'alarme-t-il. S. A.