Le coup d'Etat pourrait provoquer de grandes entraves aux efforts menés par les pays de la région et l'Union africaine pour ramener la stabilité dans le nord du Mali. La junte a promis la mise en place d'un gouvernement d'union nationale. Une image que le continent africain pensait effacée : les Maliens ont découvert au petit matin de jeudi à la télévision des militaires en uniforme leur expliquant qu'ils venaient de prendre le pouvoir ! Le porte-parole des putschistes a annoncé la dissolution de toutes les institutions, la suspension de la Constitution et un couvre-feu. La junte justifie son coup d'Etat par “l'incapacité” du régime à gérer les rébellions touareg et faire face aux islamistes armés dans le nord du pays. Officiellement, les militaires veulent en découdre avec la rébellion touareg qui a marqué des points dans le nord du Mali. Celle-ci a déclenché le 17 janvier une nouvelle offensive qui a pourri l'atmosphère dans les garnisons militaires du pays. Les revers de l'armée régulière devant les hommes bleus du désert ont été mal ressentis par la troupe qui a accusé sa hiérarchie et son chef suprême, le président de la République, de laxisme voire de complicité avec la rébellion. La coupe a débordé suite à la rencontre de militaires de rang moyen, des capitaines, avec le ministre de la Défense, le général Sadio Gassama. Les futurs mutins étaient venus mercredi livrer un compte rendu de l'évolution de la situation au nord Mali et exiger des renforts. Le ministre leur a promis de nouveaux matériels militaires qui tardent à être acheminés de l'extérieur du pays. Mais pour ses interlocuteurs, ce fut du déjà entendu. Les discussions devaient s'envenimer sur le sujet de la prise en charge des familles des soldats décédés au cours des combats contre les rebelles. Des pierres ont commencé à pleuvoir sur le... ministre qui a été exfiltré en catastrophe par sa garde du campement de Kati, non loin de Bamako, où s'était déroulée la rencontre. Quelques minutes plus tard, les militaires ont cassé un dépôt d'armes, commencé à tirer en l'air et se sont dirigés sur le palais présidentiel, le siège de la télé et la primature, occupés en un tour de main. “Trop c'est trop, nous voulons des munitions pour combattre les rebelles touareg”. Pour les observateurs, ce sont les affrontements entre l'armée malienne et les combattants touareg du MNLA, ex-mercenaires fraîchement revenus de Libye et lourdement armés, qui ont conduit la junte à éconduire le président ATT qui devait quitter le pouvoir au terme de son second mandat qui s'achevait cette année. L'insécurité du nord, le talon d'Achille du président Le 18 janvier, les rebelles du MNLA ont lancé une offensive dans le nord du pays à Aguelhok et Tessalit, deux villes proches de la frontière algérienne. La veille, ils avaient déjà tenté de prendre Menaka, près de la frontière du Niger, avant d'être repoussés par les forces maliennes. Ces affrontements entre communautés touareg et pouvoir malien n'avaient rien d'inédit, le bras de fer entre Bamako et les hommes bleus remontant à l'indépendance du pays en 1960, la nouveauté était que les hostilités ont repris au retour d'ex-mercenaires touareg qui avaient été enrôlés au sein de la Légion islamique de Mouammar Kadhafi. Pour le président ATT, qui préparait son retrait au terme de deux mandats, pas de doute, l'irruption du MNLA est intrinsèquement liée au conflit politique libyen. Lorsque Kadhafi est tombé le 20 octobre 2011 à Syrte, tous les supplétifs touareg se sont retrouvés sans employeur. Ces derniers avaient rejoint la Libye dans les années 1970, fuyant les périodes de grande sécheresse qui sévissait à cette époque dans la région saharienne pour répondre à l'appel de Kadhafi de forger sa Légion étrangère. La Libye représentait alors non seulement un eldorado financier, mais aussi un refuge idéologique, le colonel Kadhafi aimant à se présenter comme “le protecteur naturel” des Touaregs. Ces ex-rebelles sont rentrés au Mali, lourdement armés, entraînés au combat, davantage coordonnés dans leurs assauts et scolarisés. En novembre dernier, une délégation de Bamako a pris langue avec eux. Echec car le MNLA rehaussé par les légionnaires de Kadhafi ne veut plus se laisser conter, il menace de proclamer l'indépendance de ses territoires. Les relations entre les autorités de Bamako et les rebelles se sont considérablement dégradées d'autant que le pouvoir a à faire avec une structure dont il ne sait pas grand-chose. Tout ce que tout le monde sait, c'est que le MNLA est une formation politico-militaire née fin 2011 de la fusion de plusieurs factions de combattants touareg dont le Mouvement touareg du nord Mali et le Mouvement national de l'Azawad. Le coup d'Etat a-t-il été orchestré par Paris qui accablait ces dernières semaines le chef de l'Etat déchu pour sa “tiédeur”, sa “passivité” voire sa “complicité” avec ce qui est advenu dans le nord de son pays. Le ministre des AE de Nicolas Sarkozy a réclamé la tenue “le plus vite possible” du scrutin présidentiel. On voit mal la junte respecter le calendrier initial, lequel prévoyait un premier tour le 29 avril. Elle n'en a d'ailleurs nullement l'intention, puisque son chef supposé, le capitaine Amadou Sanogo et son porte-parole, le lieutenant Amadou Konaré, subordonnent le retour aux urnes à la restauration de l'intégrité territoriale du pays... Ce qui laisse le temps de voir venir. Reste qu'ATT, à l'inverse de plus d'un de ses pairs du continent, s'était abstenu de bricoler la Constitution de son pays pour briguer un troisième mandat. Il n'aura pas achevé le second, lui qui fut l'un des acteurs du putsch contre Moussa Traoré, qui dirigea un “comité de transition pour le salut du peuple” et veilla sur la conduite de la restauration démocratique puis des élections présidentielle et législatives de 1992 et qui s'était effacé devant le chef d'Etat élu, Alpha Oumar Konaré. Le voilà à son tour évincé par une colère couleur léopard. D. B