L'esplanade de la mosquée marocaine peut accueillir 80 000 personnes, et celle d'Alger tout autant ! Haute de 60 m, la salle de prière de la mosquée de Casablanca peut accueillir 25 000 fidèles, mais pour détrôner celle-ci, l'Algérie offre 15 000 places de plus ! La mosquée d'Alger dispose d'un terrain d'environ 20 ha (ou bien de 275 000 m2) à Mohammadia en face de la baie, à l'est de la capitale, alors que la mosquée marocaine est au bord de l'océan avec des vagues s'écrasant à quelques mètres de ses murs. Celle d'Alger est implantée à quelques encablures d'oued El-Harrach, un fleuve extrêmement pollué auquel on n'a pas encore trouvé de solution écologique et sanitaire. C'est l'architecte français Michel Pinseau qui a réalisé la Mosquée Hassan II en collaboration avec le maître d'œuvre Bouygues ; et si la démesure a trôné dans cet édifice “royal”, admettons cependant qu'il s'intègre parfaitement dans l'espace et le paysage marin. Reconnaissons aussi que le savoir-faire du maître d'œuvre a composé avec le génie des artisans marocains qui a été magistralement intégré dans l'édifice. L'artisanat marocain est l'un des plus développés du monde et reste intimement lié à l'architecture de ce pays qui n'a jamais laissé péricliter ses anciens métiers. Le marbre, les stucs, les verreries, les moucharabiehs en cèdre, en ébène et en acajou, les boiseries, les céramiques dignes des anciennes mosquées maghrébines et même les lustres de la mosquée Hassan II sont l'œuvre des 10 000 artisans qui se sont relayés jour et nuit pendant des années sur les façades intérieures et extérieures de la mosquée Hassan II. Les artisans marocains ont sculpté des motifs sur 53 000 m2 de bois et peint plus de 10 000 m2 de zellige représentant 80 autres motifs originaux. Le plâtre sculpté et peint a été entièrement travaillé sur place par 1500 artisans sur plus de 67 000 m2. Plusieurs autres éléments et objets sont l'œuvre des Marocains comme les coupoles de cette réalisation qui a mobilisé environ 35 000 ouvriers et artisans nationaux. L'Algérie est loin d'avoir pareils potentiel et savoir-faire en matière d'artisanat, voilà pourquoi la future mosquée d'Alger sera probablement un énième édifice habillé avec du toc d'importation, voire de mauvais goût ! Des artisans stucateurs marocains ont décoré la mosquée de la zaouïa alaouia de Mostaganem et plusieurs autres mosquées et villas algériennes. Dans la mesure où le style maghrébin est identique dans les deux pays, espérons – puisque cet édifice inutile va être malheureusement construit – que l'Algérie, fera appel à eux, car le travail du stuc s'est perdu chez nous depuis longtemps, tout comme les nombreux métiers des arts décoratifs. En tout cas, il n'y a pas d'autre solution que d'avoir recours à nos voisins, puisque les Allemands nous ont dessiné un projet dans l'obsolescent et archaïque style arabomauresque, un style inséparable des vieux métiers de l'artisanat. Mais comme notre pays nous a habitués au bricolage, il est à craindre que l'on n'aura droit qu'à un patchwork de mauvais goût en matière de décoration. La somme de 3 milliards de dollars a été engloutie dans la mosquée Hassan II, dont une partie ramassée par une souscription nationale obligatoire. Même si cette mosquée s'inscrit dans un vaste projet d'aménagement urbain (ce qui n'est pas le cas de la mosquée d'Alger), est-il juste de dépenser de l'argent dans le prestige et la mégalomanie quand le fonds manque le moins ? Un internaute marocain a écrit ceci au sujet de la mosquée : “C'est quand même beau mais quand je sais tout ce que le peuple a pu souffrir pour sa construction (taxes et autres), je me dis qu'en regardant bien c'est pas beau.” La beauté d'un monument musulman, a fortiori une mosquée, réside dans sa simplicité, sa fonctionnalité et sa juste dimension étudiée selon les besoins immédiats des fidèles. Même si des princes et des rois ont fait édifier des mosquées au cours des siècles passés, ils n'ont jamais essayé de passer pour autre chose que les serviteurs d'Allah. Ils se sont effacés devant le génie des architectes qui, eux, ont laissé s'exprimer leur génie et leur spiritualité. Or dans le gigantisme de la mosquée Hassan II, il y a comme une velléité du roi de laisser une trace pérenne, pour ne pas dire éternelle, dans le site. Jamais dans ou devant les mosquées réalisées auparavant (y compris la mosquée d'Omar d'El-Qods, la mosquée des Omeyyades de Damas, la mosquée de Cordoue, celle de Kaïraouan, Ketchaoua ou la mosquée de Nouakchott, par exemple) on ne pense au roi ou au souverain qui les a édifiées mais seulement à Dieu. Or on ne peut s'empêcher de penser à Hassan II quand on regarde la mosquée de Casa. L'art musulman a ses règles et ses lois, lesquelles lois haïssent le gigantisme et lui préfèrent la pureté, la simplicité et la finesse. L'exception est peut-être justifiée à La Mecque et à Médine où le nombre important de pèlerins, soit la nécessité, autorise un gigantisme qui nuit énormément à la pureté, à la finesse et à la rigueur des formes et des proportions de l'art islamique. L'édifice musulman est à dimension humaine même si sa symbolique renvoie au divin. La gageure non relevée dans le projet marocain ou algérien aurait résidé en l'apport d'un style personnel, en l'apport d'une forme nouvelle, en un génie architectural dramatiquement absent dans cette construction qui va s'ajouter aux milliers d'autres que subit ce pays depuis quarante ans. Les quelques exceptions architecturales réalisées dans notre pays depuis l'indépendance sont l'œuvre d'architectes qui sont restés anonymes dans leurs bureaux d'études étatiques ou privés ainsi que celles des quelques architectes étrangers qui ont réalisé les œuvres que l'on sait comme l'université de Bab Ezzouar pour Oscar Niemeyer, les complexes touristiques d'Alger et de Tipasa pour Fernand Pouillon, l'université d'Oran pour Kenzo Tange, et c'est tout ou presque. Alors que les réalisations architecturales dignes de ce nom se comptent sur les doigts d'une seule main en Algérie, voilà que l'on rate l'occasion de sortir de la médiocrité où le futur projet va nous enfoncer davantage. Architecture allemande et tapis persans ? Le plan d'architecture de la grande mosquée d'Alger a été réalisé par la société germano-tunisienne de Kiefef Ste Krebs Und, dont la soumission est la plus élevée des cinq autres bureaux ayant répondu aux “critères” définis dans l'appel d'offres ! Qui a choisi ce projet et sur quelle base ? Le jury ou bien le président de la République comme le dit la rumeur ? Le jury comprenait 45 personnalités d'horizons divers mais où les architectes ayant des références construites se comptaient sur les doigts d'une seule main ! Pourquoi lancer un concours international ensuite prendre le projet le plus cher ? Rares sont les maîtres d'œuvre algériens qui ont osé dénoncer cet état de fait. L'un d'eux est Abdelhalim Faïdi, qui s'est opposé au projet pour plusieurs raisons, dont le fait que des milliers de bureaux d'études algériens et étrangers aient été exclus par la justification d'un chiffre d'affaires annuel de 80 millions de dinars pour l'éligibilité à la soumission d'un bureau d'études. La précipitation et les conditionnalités ont fait que seuls dix-sept bureaux d'études dont douze étrangers ont soumissionné sur lesquels seulement cinq ont pu être sélectionnés à l'ouverture des plis des offres techniques qui a eu lieu le 18 septembre 2007. Il s'agit de AS Architecture Studio (France), ASTP/ATKINS (France-Royaume-Uni), Kiefef Ste Krebs Und (germano-tunisien), d'Iproplan (Allemagne) et Génidar Sarl (Iran). L'offre la moins-disante était celle du bureau iranien Génidar, dont l'étude et le suivi s'élevaient à 5,974 millions d'euros (hors taxes) pour un délai de 12 mois. Le bureau franco-anglais ASTP/ATKINS a demandé 2,926 milliards de dinars (toutes taxes comprises), l'équivalent de près de 29 millions d'euros, dans un délai de 10 mois. Architecture Studio a demandé 4,72 milliards de dinars (HT), l'équivalent de près de 47 millions d'euros dans un délai de un délai de 17,5 mois. Ce n'est donc pas le projet le moins cher qui a été retenu et nous ne verrons jamais les maquettes des autres soumissions pour pouvoir en juger, l'opération étant entourée d'une opacité stalinienne qui nourrit davantage la rumeur sur les raisons occultes présidant dans des marchés aussi importants. La mosquée n'ayant pas emballé les citoyens, la communication s'est donc faite au compte-gouttes, et on ne saura jamais pourquoi l'offre iranienne a été rejetée alors qu'elle est 101 fois moins élevée que l'offre allemande, soit 5,974 millions d'euros (hors taxes) contre 129 millions d'euros ! En tout cas, d'après les deux photos disponibles sur internet, la proposition iranienne semble plus intéressante que celle des Allemands ! Mais si des raisons quelconques ont amené à écarter les Iraniens, pourquoi l'Algérie n'a-t-elle pas fait appel à la grande architecte iranienne Zaha Hadid ? Cela aurait permis à la première architecte musulmane (certainement la plus grande depuis Sinan) de réaliser ce lieu de culte et surtout de donner à l'Algérie une œuvre digne de ce nom ! L'Algérie passe toujours à côté de l'histoire, et Bouteflika ne réalisera qu'un banal bloc de béton au coût faramineux et non pas une œuvre d'art. Sa mosquée sera la plus haute, le plus chère, la plus grande… mais pas une architecture digne de ce nom ! Un concours pour les étudiants de l'EPAU aurait certainement donné une maquette moins ringarde ! Un projet au coût mirobolant qui ne reflète même pas le niveau de compétence de son temps est une insulte à l'intelligence nationale et universelle ! à ce prix, on devait s'inscrire dans l'universel, pas dans une médiocrité, voire une platitude à la portée de millions de diplômés. Ce projet qui ne retrace pas le passé, n'intègre pas le présent et qui est loin de s'inscrire dans le futur ne reflète que le mauvais goût de nos décideurs, leur incompétence et leur décalage par rapport à l'histoire doublés d'une cupide usurpation du pouvoir sous prétexte d'une légitimité historique dont ils n'ont assumé aucun devoir, surtout pas celui d'essayer d'apprendre et d'écouter pour être à la hauteur, ensuite celui de transmettre la gestion des affaires aux compétences et aux jeunes. Usurpateurs du pouvoir, ils pillent et dilapident les richesses comme s'il s'agissait de leur bien propre, sans rendre compte, sans même daigner justifier ou se justifier. La rumeur dit que ce n'est pas le jury désigné à cet effet qui a choisi le lauréat allemand ! Voilà aussi pourquoi une étude qui a coûté 129 millions d'euros n'a pas donné une œuvre d'art mais une construction plate qui nous ramène au niveau des années 1960-70. Sur de nombreux forums internet, les internautes condamnent ce projet, mais qui les écoute ? La maquette retenue ne reflète aucun génie et pas même du talent ; elle est en-dessous des œuvres de nombreux architectes dont la signature est convoitée à travers le monde et auxquels l'Algérie aurait pu faire appel, comme Boumediene avait fait appel à Pouillon et Oskar Niemeyer, et Chadli à Kenzo Tange. En vérité, la culture véritable d'un homme d'état se mesure à sa connaissance de l'histoire de l'art et de l'architecture, pas à la quantité de livres ingurgités, parfois sans compréhension véritable. Les soumissions à l'appel d'offres algérien sont le résultat de l'inconsistance et de l'improvisation qui ont présidé à la réaction du cahier des charges, une inconsistance qui transparaît même dans le site web du ministère des Affaires religieuses concernant la mosquée que dans celui de l'agence chargée de “la maîtrise d'ouvrage déléguée pour la construction de la mosquée”, en l'occurrence l'Agence nationale de réalisation et de gestion de la mosquée d'Alger (ANRGMA), créée par le décret n° 05-137 daté du 24 avril 2005.Le site web de l'ANRGMA ne présente aucune information ou photo, à part trois pages de généralités du genre : “Etant donnée la nature souveraine du projet, il sera impératif que l'ensemble du site de la Mosquée d'Alger revête une signature architecturale d'inspiration maghrébine avec une authenticité algérienne qui tienne compte de l'évolution technique et technologique pour exprimer la modernité et la réinterprétation des concepts traditionnels qui sied au présent et résistera au temps.” En vérité, ces critères abstraits et inquantifiables ne peuvent être rendus que dans une œuvre digne de ce nom, une œuvre que seul le génie peut restituer, et ce génie il fallait aller à sa rencontre, pas attendre qu'il vienne, surtout lorsque l'appel d'offres a été quasiment infructueux dans la mesure où seuls dix-sept soumissionnaires avaient répondu à l'ANRGMA. (A suivre) A. E. T.