Les parlementaires libéraux égyptiens, minoritaires dans l'Assemblée constituante dominée par les islamistes, les Frères musulmans, d'un côté, et, de l'autre, les salafistes, ont jeté le gant. Ils ne prendront pas part au vote de l'assemblée pour désigner les membres de la Commission chargée de rédiger la nouvelle Constitution. “Tous nos parlementaires se sont retirés”, a déclaré Naguib Sawiris, fondateur du Parti des Egyptiens libres, venant en troisième position dans le Parlement mais bien, bien loin des députés islamistes. Sawiris s'exprimait également au nom d'une coalition de petits partis de gauche et laïcs ; ensemble, ils n'atteignent même pas les 20% dans la représentation nationale ! Libéraux, gauche et laïcs se sont rendus à l'évidence ; non seulement ils ne pèsent pas grand-chose en termes mathématiques mais, surtout, les islamistes ne veulent pas leur concéder la moindre parcelle. Frères musulmans et salafistes ont fait corps pour que la nouvelle Constitution ne soit rédigée que par eux. “Nous avons fait de notre mieux mais en vain”, a avoué Sawiris. Après une série de réunions préparatoires, le Parlement égyptien fraîchement installé devait désigner, samedi, les 100 membres de la Commission constituante : 50 députés et sénateurs et 50 personnalités publiques et membres de syndicats. Redoutant la mainmise des islamistes, plusieurs organisations laïques, qui avaient été des moteurs du "Printemps du Nil" ayant provoqué la chute de Hosni Moubarak en février 2011, avaient organisé des marches en direction du Centre des conventions, au Caire, où étaient réunis les parlementaires, mais l'armée a veillé au grain, les empêchant d'y parvenir. Les acteurs de la révolution qui a accouché d'un Parlement monocolore et de surcroît islamiste, ont toujours suspecté l'armée d'accointance avec les Frères musulmans. Ces derniers, après avoir joué pleinement le jeu avec la hiérarchie militaire, ont récupéré dans le feu d'une révolte à laquelle ils n'avaient pas pris part, toute la mise du Printemps cairote. Et le Parlement entre leurs mains, ils pensent aujourd'hui mettre les militaires dans leurs poches en instaurant un régime parlementaire. En effet, alors que l'emblématique place Tahrir exigeait le retrait des militaires dans ses casernes, les islamistes, eux, ont aidé le maréchal Tantaoui, chef autoproclamé du pouvoir qui a succédé à Moubarak, a faire adopter en mars 2011 la déclaration constitutionnelle qui a maintenu les grands principes de base de l'ancienne Constitution, abrogée après la chute du régime Moubarak un mois auparavant, en février. L'ancienne Constitution disposait déjà que les principes de la charia étaient la source de la législation, mais la formulation restait vague ; les Frères musulmans et Ennour souhaitent islamiser davantage (!) un pays qui pourtant comporte des Coptes, lesquels, se prévalant du droit du sol, ont toujours exigé un système politique laïc. Selon le programme établi par les militaires au pouvoir depuis le départ de l'ancien président, la commission doit avoir fini ses travaux avant l'élection présidentielle prévue en mai, mais ce calendrier semble difficile à tenir. Certains candidats à la présidentielle craignent que le nouveau chef de l'Etat se retrouve ainsi sans pouvoirs constitutionnels définis, alors que le Parti de la liberté et de la justice (PLJ), la formation des Frères musulmans, et son aile radicale, les salafistes d'Ennour, vont donner plus de pouvoirs au Premier ministre, qui est leur chef de file. Selon le quotidien indépendant Al-Shorouk, le tribunal administratif du Caire est en train d'examiner une pétition signée par un expert juridique et 17 militants et personnalités des médias contre la procédure en cours. Les signataires de la pétition estiment en particulier que dans la mesure où la Constitution définit les pouvoirs du Parlement, elle ne devrait pas être rédigée par des parlementaires. D. B.