L'armée égyptienne veut siffler la fin de la partie démocratique, les Frères musulmans et les salafistes menacent de descendre dans la rue. Objet du litige : la constitution post-Moubarak. Qui doit écrire la constitution en Egypte ? Bras de fer entre l'armée, le pouvoir de fait, et les islamistes qui ne veulent pas être considérés comme un simple décor ou un faire-valoir du Printemps arabe. Pour le moment, les islamistes, vainqueurs des premières élections législatives libres et relativement transparentes, jouent la prudence. Ils affrontent l'armée qui s'était arrogée tout le pouvoir lorsqu'elle fut contrainte de faire pousser à la sortie son chef suprême, Moubarak, un ex-général, de façon pacifique, se contentant de prendre à témoin leur opinion et celle mondiale sur le rapt électoral que s'apprête à commettre le maréchal Tantaoui, le patron de l'institution militaire aux commandes et dont la place Tahrir n'a pas arrêté ces dernières semaines de demander la tête. Qui doit écrire la constitution égyptienne ? La question est centrale, et elle divise. L'armée, qui dirige encore le pays, a annoncé, jeudi 8 décembre, le début d'un conseil consultatif pour préparer la rédaction. Alors que pour les Frères musulmans, c'est au Parlement de s'en charger. La confrérie a donc claqué la porte de ce groupe de travail. L'épreuve de force entre l'armée et les islamistes a donc commencé plus tôt que prévu. On attendait le clash à la fin des législatives avec un parlement dominé par les islamistes qui chercheraient à se défaire du joug de leurs alliés d'hier. Malgré la vague révolutionnaire, le Conseil suprême des forces armées (CSFA) n'est pas prêt de lâcher les rênes du pouvoir. Un de ses membres a affirmé que ce n'était pas le Parlement qui allait dicter la constitution, c'est ce qui a mis le feu aux poudres. Or, s'il y a une chose à laquelle les islamistes tiennent par-dessus tout, c'est bien la rédaction de la nouvelle constitution qu'ils veulent plus conforme à la charia. Les Frères musulmans ont claqué la porte du Conseil consultatif dont les membres choisis par les vainqueurs du scrutin législatif devaient servir de “conseillers” aux militaires et au gouvernement dans la rédaction de la loi fondamentale. Les militaires veulent garder la main sur la constitution ; à se demander alors pourquoi la future Assemblée constituante. Le CSFA a chargé un “conseil consultatif” de préparer la procédure de rédaction d'une Constitution, un conseil d'une trentaine de membres, composé d'intellectuels et de personnalités politiques, pour mettre en place l'instance qui sera chargée de rédiger la future loi fondamentale. Les deux formations islamistes ont remporté au total 113 sièges sur 168 en lice pour les deux tours de la première phase de l'élection, les Frères musulmans se taillant la part du lion avec 80 sièges, suivis du parti salafiste Al-Nour avec 33 sièges. Et ils ont de bonnes chances d'obtenir la majorité absolue dans la nouvelle législature. Le CSFA, qui avait pressenti la victoire des islamistes, que Moubarak, comme tous ses pairs arabes, avait couvés, avait tenté d'imposer des projets constitutionnels qui réserveraient à l'armée une très large autonomie à l'égard du pouvoir civil, mais ils avaient donné lieu à des manifestations qui ont fait une quarantaine de morts en novembre. Les généraux avaient provisoirement reculé, sans parvenir à dissiper l'idée qu'ils cherchent à garder la réalité du pouvoir qu'ils doivent formellement remettre aux civils l'année prochaine. Le CSFA s'est réservé une centaine de sièges à l'Assemblée constituante sans donner plus de précision sur ses critères. Pour elle, cette disposition est dictée par le souci de contenir l'hégémonie des islamistes. La nouvelle constitution, a plaidé un général membre du CSFA, sera en vigueur de nombreuses années, ses auteurs doivent donc représenter la société toute entière et pas seulement la prochaine majorité parlementaire. Parmi eux doivent figurer des salariés, des responsables politiques ou des syndicalistes. Ce que les détracteurs des militaires ont interprété comme un moyen de priver les parlementaires du pouvoir de nommer ses membres. La nouvelle constitution pourrait entrer en vigueur à la mi-2012, lorsque les militaires remettront le pouvoir aux civils, conformément au nouveau calendrier adopté à la demande des manifestants de novembre. Dans cette histoire, les islamistes se sont retrouvés dans la situation cocasse de l'arroseur arrosé. Non seulement, ils n'y étaient pour rien dans l'explosion du Printemps du Caire qu'ils avaient rejoint tardivement, lorsque Moubarak était sur le seuil de la porte de sortie, mais, contrairement aux vrais acteurs de la révolution du Nil, ils n'avaient jamais inquiété les militaires et tout fait pour que les élections se tiennent dans les temps impartis. L'enjeu, s'est révélé n'être pour les islamistes que la consultation électorale qu'ils ont par ailleurs raflée, ne laissant que des miettes aux autres sensibilités. Le tsunami islamiste est tel que le deuxième tour du processus électoral se joue dans un duel serré, entre islamistes ! D'un côté, les Frères musulmans ; en face, les salafistes avec leur projet entièrement “charaïque”. Le projet constitutionnel militaire, tout comme leur maintien au pouvoir, est déjà boycotté par les courants modernistes et laïcs et condamné par les révolutionnaires de la place Tahrir. Reste à savoir s'il s'agit de simple manœuvre de la part des militaires et des Frères ou d'un début des hostilités. Autre question, les modernistes, les laïcs, les libéraux et les nassériens, applaudiront-ils encore les militaires dans ce rôle de “rempart” contre la pandémie verte ? Pas sûr, la corde n'a que trop été utilisée dans ce pays, comme ailleurs, où les militaires occupent le premier rang. D. Bouatta