Le cinéaste ne porte pas jugement sur la guerre civile en Espagne, ne cherche pas à distinguer les bons des méchants ou même les vainqueurs des vaincus. Il nous rappelle seulement que dans un contexte de guerre, la nuance est la seule voie pour la compréhension. “La guerre crée plus de méchants qu'elle n'en supprime.” C'est bien connu, c'est largement d'actualité et c'est surtout très vrai ! Le réalisateur, Augusti Villaronga, nous le dit, le redit et le démontre avec subtilité et intelligence, dans sa magnifique œuvre Pain noir : une adaptation du roman éponyme de l'écrivain catalan Emili Teixidor, signée le réalisateur qui l'a mixé à deux autres œuvres du même auteur. Pain noir, qui a remporté d'importantes distinctions (9 Goyas, 13 Gaudí, 9 prix au Festival du film espagnol de Nantes et un prix de la meilleure interprétation féminine au 58e Festival de San Sebastian), a été présenté à Alger (avant-hier et hier) dans le cadre des premières journées du film méditerranéen d'Alger, MéditerraCiné, qui prendront fin après-demain, avec la projection du film aux cinq Oscars, The Artist, de Michel Hazanavicius. Pain noir nous plonge dans les premières années suivant la guerre civile, dans un village de Catalogne, où la misère et le dénuement rythment le quotidien de ceux qui le peuplent. Mais c'est surtout l'histoire d'Andreu, un petit garçon qui idéalise son père – un homme d'honneur semble-t-il –, qui aspire à devenir médecin et rêve de réussir afin d'aider ses parents (son père élève des oiseaux et ne peut plus travailler en raison de son passé de communiste, et sa mère est ouvrière à l'usine), et qui voit sa vie basculer, du jour au lendemain. Andreu est en effet le témoin des dernières paroles d'un de ses amis, dont la charrette du père est tombée du haut d'une falaise. Andreu court prévenir les habitants du village et répète les paroles du petit qui lui avait dit, avant de mourir : “Pitorliua”. Après avoir soutenu l'hypothèse de l'accident, la police conclut à un meurtre et accuse Farriol (Roger Casamajor), le père d'Andreu. Farriol fuit le village et Andreu va s'installer chez sa grand-mère. Il partage ainsi son quotidien avec ses cousins et se lie d'amitié avec un jeune homme rencontré dans un couvent. Si la guerre n'est pas montrée, Augusti Villaronga montre ses effets, ce qui suscite à la fois l'empathie et l'émotion. Pain noir n'est pas un film sur la guerre mais sur ce qu'elle produit comme misère, dislocation, déchirure. Le cinéaste ne porte pas de jugement sur la guerre, ne cherche pas à dissocier les bons des méchants, ou même les vainqueurs des vaincus. Augusti Villaronga choisit de raconter la guerre civile par le biais du regard et des émotions des enfants, ce qui lui a permis de nuancer son propos et son film, en travaillant notamment sur le registre fantastique. Pain noir traduit la tragédie d'un petit garçon placé dans un contexte effroyable où la morale n'existe plus, et qui se retrouve contraint de grandir et d'apprendre que ce qui définit les êtres humains ce ne sont pas leurs idées mais leurs choix. Ce n'est pas ce qu'on dit mais ce qu'on fait qui compte, mais parfois, et avec toute la bonne volonté du monde, on se perd en cours de chemin. Ce que nous dit explicitement le personnage de Farriol lorsqu'il s'adresse à Andreu, en lui apprenant une ultime leçon de vie, selon laquelle ce qu'il y a de plus terrible dans une guerre, ce n'est pas de vivre dans la misère ou même de mourir, mais de renoncer à ses idéaux. Cette phrase résonnera dans la tête du petit garçon, qui sera lui aussi amené à faire un choix qui déterminera tout le reste de son existence. Car voilà, Pain noir s'intéresse, non pas aux choix de l'homme mais à ce qui les détermine, et le plus souvent, c'est l'instinct de survie. S K