Qui n'a pas entendu parler de la pêcherie à Oran ? Pour les non-initiés, il s'agit d'un endroit situé près du port de pêche où l'on trouve encore quelques restaurants dans lesquels on sert des spécialités de poisson frais. Pour les Oranais, on croirait que c'est du cinq étoiles tellement c'est bien. Il est vrai que les repas sont bons. On peut commander de la soupe de poissons ou différentes sortes de poissons ou des fruits de mer (crevettes, gambas, calamars) grillés, accompagnés d'une salade. Les fins gourmets font à présent “leur deuil” d'une table garnie de crevettes, de merlans, de rougets, d'espadons, de dorades, de soles, de pageots ou même de sardines. “Des vieilles baraques de la pêcherie où on venait déguster le bon poisson frais et frit à l'air libre, des restaurants inclassables se sont à présent érigés en fritures de poissons hors de prix”, affirme Adda, un inconditionnel amateur de poisson. Les prix des produits de la mer ont pris une courbe croissante, décourageant les plus tenaces gourmets d'approcher le poisson qui est proposé à des prix démesurés. Mokhtar, un marin pêcheur bien connu de la place, affirme que cette flambée des prix ne peut s'expliquer que par “les conditions climatiques qui ont empêché les pêcheurs à s'aventurer en haute mer”. Il assure, en vieux loup de mer, que le prix du poisson “devrait connaître un net recul avec le retour graduel du beau temps”. Une assurance battue en brèche par les fins gourmets qui ne se bousculent pas pour déguster du calamar ou des crevettes grillées ou marinées à l'armoricaine. Le patron d'un restaurant de la pêcherie déplore la rareté du poisson dont raffole une clientèle qui vient parfois de loin pour le déguster. Actuellement, le simple fait de vouloir manger des sardines grillées demande un sacrifice budgétaire supplémentaire. “L'autre jour, j'ai payé un plat composé de 7 sardines grillées pour la somme de 350 DA”, se lamente un amateur de ce poisson. Pour lui comme pour de nombreux inconditionnels du poisson, la bouillabaisse ne passe plus. Les patrons des restaurants de la pêcherie ont des arêtes en travers de la gorge. “Sur quelle base dois-je facturer un plat de soles, de crevettes sautées ou grillées, de merlans, de dorades, de rougets de roche frits à 1400 DA le plat, si je dois payer entre 2000 et 2800 DA le kilo?”, s'interroge-t-il. “Ce sont les restaurateurs de la ville qui ratissent large auprès des vendeurs de poissons ‘‘clandestins'' qui arrivent à liquider leur marchandise en cinq sec”, affirme Hamid, un autre amateur de poissons aigri. Un petit tour à Kristel nous a permis de prendre le pouls de cette situation dans cette localité balnéaire, située à l'est d'Oran. La petite place où se déroulait d'habitude la vente des poissons fraîchement ramenés de la mer est déserte. “Les restaurateurs de la ville d'Oran et les intermédiaires ont maintenant la main sur le commerce des produits de la mer qu'ils achètent directement auprès du pêcheur, alors qu'il se trouve encore en mer”, affirme-t-on. Ainsi dépérit la pêcherie qui n'est plus que l'ombre d'un souvenir lointain du quartier mythique de la Scalera. Les petites baraques de fritures, adossées à même le glacis faisant face au port, ont été toutes détruites. À deux dinars le plat de poissons accompagné de sauce escabèche, les fonctionnaires y tenaient leur quartier. Un rendez-vous gouailleur qu'il ne fallait absolument par manquer. “Il y avait tous les jours différentes espèces de poissons frais qu'on venait savourer pour la tendreté de leur chair mais surtout pour l'ambiance régnante”, se souvient avec nostalgie Houari, un retraité de la wilaya d'Oran. K. R-I