Ce sont les oubliés de la littérature algérienne contemporaine. Les aînés, avec toute la charge symbolique de ce mot : Aîné. Sagesse. Exploration. Les oubliés, plutôt les rayés de la carte culturelle, les éraflés des espaces culturels algériens ou algérois. Ils sont, entre autres : Nabil Farès, Mourad Bourboune, Messaour Boulanouar, Kaddour M'hamsadji, personne ou presque, de cette nouvelle génération, lecteurs et écrivains confondus, ne se souvient de ces noms qui jadis étaient les bons faiseurs de roman et de poésie. Chez nous, même Assia Djebar, fille de Cherchell, est enterrée vivante dans un silence complice et mortuaire. Tous ces noms ne disent rien, rien sur rien, pour les “importants” de l'Algérie culturelle et littéraire d'aujourd'hui. Qui parmi nous n'a pas lu le Muezzin de Mourad Bourboune, roman courageux et dénonciateur, publié en 1968 ? En ce temps morose que traversent tous les pays du Sud, le Muezzin demeure un texte d'actualité politique et littéraire. Qui n'a pas, un jour, lu le Silence des cendres de Kaddour M'hamasadji, premier roman algérien traduit en chinois ? Et traduit en arabe par Hanafi Benaïssa, traducteur sans paire. Qui n'a pas, un jour, lu quelques poèmes de Messaour Boulanouar, poète dont le nom figure dans la première anthologie de la poésie algérienne écrite par Jean Sénac ? Première reconnaissance par Jean Sénac ! Chacun de ces écrivains vit encerclé par le silence, la maladie ou la marginalisation. Mourad Bourboune mène sa vie nulle part, comme dans une clandestinité. Messaour Boulanouar écoule ses jours isolé, souffrant à Sour El-Ghozlane. Kaddour M'hamasadji, l'un des fondateurs de l'Union des écrivains algériens aux côtés de Mouloud Mammeri et de Mourad Bourboune, retiré, seul, esseulé sur les hauteurs du quartier Les Sources à Alger. Avec un courage exceptionnel et brio, M'hamsadji continue son projet d'écriture. Assia Djebar, une figure littéraire universelle, consume son temps intellectuel tantôt sur l'autre côté de la Méditerranée, tantôt sur l'autre côté de l'Atlantique, évitant toute sortie culturelle en Algérie. Depuis son élection en 2005 au fauteuil 5, membre de l'Académie française, notre écrivaine n'a pas mis les pieds dans son pays. Exception, ses visites personnelles ou familiales. Nabil Farès, un écrivain souriant. Avec les éclats de rire, il aborde son interlocuteur. Œil sur l'Algérie, qu'il vénère, qu'il a quittée depuis le jour de l'assassinat du président Mohamed Boudiaf. Même boudé, marginalisé dans son pays, Nabil Farès continue à écrire des romans. À nous surprendre. À participer dans des débats autour de son pays l'Algérie, son Algérie à lui. Son dernier roman intitulé Il était une fois, l'Algérie est publié par les éditions Achab 2011. Une jeune maison d'édition dirigée par un Algérien, qui relève le défi en publiant Jacques Prévert en tamazight. Dans Il était une fois, l'Algérie, écrit sur un ton poétique et fragmenté, Nabil Farès peint l'Algérie de la violence et de la fascination. Entre conte, roman et poésie, l'écrivain monte son texte sur la magie du fantastique. Les personnages : Slimane Drif, écrivain débutant, Linda, peintre et amie de Slimane, Tania, fille de Selma la disparue… vivent comme dans un cauchemar général ou généralisé. A travers l'enlèvement de Selma, le séisme de Boumerdès, les images cauchemardesques du gouffre, les folies, les égarements… le texte baigne comme dans la noirceur éclairée. Il était une fois, l'Algérie est un roman sur la philosophie de la violence, écrit par un psychanalyste. Le même scénario qu'ont vécu Mohamed Dib, Mohamed Arkoun, Rabah Belamri… tous morts dans l'indifférence et l'abandon, enterrés dans une terre étrangère, se dessine, une fois encore, pour ces enfants fragiles de cette Algérie forte. La rencontre, dans un colloque à Bruxelles en novembre 2011, avec Nabil Farès, auteur de Yahia, pas de chance, m'a fait penser à toutes ces plumes qui ont marqué la littérature algérienne d'expression française avec force et amour pour l'Algérie. Algérie qui fête son cinquantenaire. A. Z. [email protected]