Depuis plusieurs semaines, la pomme de terre fait la une de l'actualité. Son prix, qui a fortement augmenté, a donné le tournis aux consommateurs. De 50 DA en janvier, ce légume, qui a depuis toujours accompagné le repas du pauvre, a dépassé la barre des 100 et même 120 DA le kilo. Cette situation est problématique surtout quand on sait que la production nationale assure une autosuffisance qui a mis l'Algérie à l'abri des importations durant quatre ans, selon le ministère de l'Agriculture. Pour le ministère du Commerce, la cause principale de la cherté des produits de large consommation ainsi que le dérèglement de l'approvisionnement des marchés sont dus à la rupture des stocks de sécurité. Certaines récoltes saisonnières ont, explique-t-on, été durement affectées par les brusques changements climatiques des mois de janvier et février derniers. Cet argumentaire est battu en brèche par le ministère de l'Agriculture. Selon le chargé de la communication de ce ministère, M. Barchiche, la hausse des prix des produits agricoles, notamment de la pomme de terre, ne peut nullement se justifier par la faiblesse de l'offre étant donné que la rareté du produit n'était pas perceptible sur les marchés. Selon les chiffres du ministère, la superficie plantée pour la production d'arrière-saison au titre de la campagne 2010/11 est la même que celle de la saison précédente, c'est-à dire 55 000 ha, dont près de 5 000 ha réservés à la primeur. Les superficies plantées en pomme de terre ont augmenté de 10 000 ha en moyenne par an durant les quatre dernières saisons agricoles. Elles sont passées de 90 000 ha en 2007/08 à 128 000 ha en 2010/11. Les rendements ont connu également une légère hausse, passant de 250 quintaux (qx/ha) en 2008/09 à 297 qx/ha en 2010/11. Par ailleurs, La mise en place du Syrpalac a permis de stocker les surplus de production. Celle-ci est passée de 2,2 millions de qx en 2008 à 2,67 millions de qx en 2009, 3,2 millions qx en 2010 et 3,8 millions de qx en 2011. La persistance des intempéries, accompagnées d'importantes chutes de neige, ont provoqué un décalage de 40 jours dans la récolte d'arrière-saison ou période de soudure, engendrant une perte de 10 à 15%, selon des explications du responsable. Cette situation a contraint les opérateurs publics et privés de déstocker et d'activer le système de régulation des produits agricoles de large consommation (Syrpalac) pour approvisionner le marché national pendant cette période de froid. Entre temps, les spéculateurs sont entrés en jeu en achetant et en stockant. Ce système de régulation, qui devait couvrir un mois, a été déclenché à l'avance, selon le responsable de la communication du ministre, qui ajoute que le système a néanmoins fonctionné correctement. Pour notre interlocuteur, l'arrivée sur les marchés de la pomme de terre de saison va faire baisser les prix d'ici la fin avril. Ce responsable au ministère a laissé entendre, à ce propos, que des quantités de pomme de terre entrent chaque jour sur le marché, et les prix devraient revenir à la normale d'ici début mai lorsque la récolte atteindra son pic saisonnier. Selon M. Barchiche, la récolte de Mostaganem a déjà commencé. Début mai, ça sera le tour de celle d'Aïn Defla, puis celle d'El-Oued. En conclusion, M. Barchiche, qui se considère comme agriculteur, indique que les agriculteurs ont gagné le défi de la production, soulignant enfin que la mission du ministère s'arrête à la production. Défaillance du système de régulation Syrpalac géré par la SGP PRODA ? Devant les propos très rassurants du ministère de l'Agriculture, nous avons essayé d'aller plus loin pour savoir la réalité de l'opération de régulation et du déstockage durant cette période de soudure. Il était d'autant nécessaire de le faire puisque beaucoup d'acteurs ont pointé du doigt l'insuffisance des stocks de pommes de terre. La SGP Proda, que nous avons contactée, nous a orientés vers sa filiale Frigomedit, qui gère tous les entrepôts frigorifiques récupérés et réhabilités par le ministère de l'Agriculture. Malheureusement, les responsables de cette structure sont restés aux abonnés absents. Les multitudes tentatives de les joindre sont resté vaines. La réponse classique “ils sont en réunion” était chaque fois de mise. Nous avons même laissé nos coordonnées pour qu'ils puissent nos glisser dans leur agenda, mais sans résultats. Le silence de Frigomedit laisse planer le doute sur la réussite du système de régulation. Cependant, les supposées défaillances du système de régulation n'expliquent pas à elles seules la flambée des prix de la pomme de terre. Selon les chiffres du ministère de l'Agriculture, le produit est disponible et le volume de production d'arrière-saison de cette année est supérieur à celui de l'année passée, et les quantités stockées sont en hausse par rapport à l'année précédente. Pourquoi donc cette hausse persistante des prix ? La réponse est à chercher au niveau de la régulation du marché, donc des prix, qui, elle, est du ressort exclusif du ministère du Commerce. Nul ne peut nier que la spéculation et la multiplicité des mandataires sur le marché de gros sont à l'origine de la hausse des prix des fruits et légumes enregistrée depuis des semaines en Algérie. C'est le constat fait par différents acteurs du secteur. C'est le cas pour le président de la Chambre d'agriculture d'Aïn Defla, qui accuse les spéculateurs et les différents intervenants sur ce marché très porteur d'avoir profité des aléas climatiques. Pour l'Union générale des commerçants et artisans algériens (UGCAA), les intempéries qui ont touché, en février dernier, plusieurs wilayas du pays ont suscité un recul de l'offre des produits agricoles, ce qui a encouragé la spéculation et la multiplicité des mandataires sur le marché de gros des fruits et légumes. Outre la spéculation, l'UGCAA souligne que la grande différence entre les prix du marché de gros et les prix du détail s'explique par le fait que la marchandise au niveau du marché de gros ne peut pas être distribuée rapidement et facilement pour arriver au consommateur parce qu'il n'y a pas de locaux de détail et pas de marchés de proximité. L'UGCAA pose le problème de l'absence de réseau national de distribution, annoncé en 2009. On est en 2012 et rien n'a été fait. Ce réseau devait comporter plus de 30 marchés de gros, 800 marchés de détail et 1 000 marchés de proximité. Il devait contribuer à la création de plus d'un million de postes d'emploi. L'autre avantage de ce réseau, explique l'UGCAA, est la garantie de la stabilité des prix. Il peut aussi diminuer la grande marge entre les prix de gros et les prix de détail. Comme il peut assurer une distribution équilibrée dans toutes les régions qui seront servies en même temps. Mais ce projet n'a pas encore été concrétisé, regrette l'organisation. Une lecture de cette situation montre que les différentes mesures, y compris le Système de régulation des produits agricoles à large consommation (Syrpalac), appliquées par les services concernés pour contrôler les marchés se sont avérées inefficaces, ce qui montre que les marchés de gros et le contrôle des prix sont entre les mains de spéculateurs organisés qui arrivent à s'opposer à toutes tentatives d'organisation des marchés par les pouvoirs publics. Cela montre également que les raisons de la persistance de cette situation sont liées aux conséquences du commerce informel, qui ne concerne pas uniquement l'agriculture mais gagne du terrain pratiquement dans l'ensemble des secteurs industriels et économiques. S. S.