Pas de bousculade autour de la campagne électorale. Plutôt de l'indifférence. Même la quarantaine de partis dans la course ne donnent pas l'air d'être convaincus. Pour les nouveaux, c'est la découverte, tandis que pour les anciens : une promenade de santé… La forte abstention que craint le pouvoir menace. Les législatives du 10 mai constituent pourtant l'aboutissement des nouvelles réformes de Bouteflika destinées à imprégner à l'Algérie son propre printemps ! L'élection de 462 députés “constitue une phase cruciale et un pari décisif qu'il nous incombe de gagner car nous n'avons d'autre choix que de réussir”, n'a cessé de déclarer le président de la République, comme dans son message à l'occasion de Youm el-Ilm. Auparavant, il avait comparé ces législatives à un acte fondateur ! Les assimilant au 1er Novembre 1954 ! Lui emboîtant le pas, le ministre de l'Intérieur a annoncé que la révision de la Constitution serait échue à la nouvelle chambre basse du Parlement. La Constituante, un leurre Daho Ould Kablia a même évoqué l'idée de Constituante pourtant violemment rejetée jusqu'ici, pour annoncer, par la suite, le générique de la campagne électorale : “le printemps de l'Algérie”. Là aussi, le pouvoir avait jusqu'ici refusé toute comparaison avec le Printemps arabe que, d'ailleurs, il avait condamné par des postures, pour le moins controversées, d'abord, en Libye jusqu'à la normalisation récente avec le CNT, et, aujourd'hui, en Syrie. Bouteflika, si peu loquace ces deux, voire trois dernières années, n'a pas arrêté de presser les électeurs d'aller voter, après que 23 nouveaux partis politiques aient été subitement agréés à la queue leu leu et que l'Assemblée nationale s'est vu grossir de 73 sièges supplémentaires. Toutes ces sollicitude et louanges à un électorat qualifié pour la première fois de “citoyens responsables”, tous ces appels du pied, ces exhortations et ces mises en garde contre ce qui pourrait advenir d'irréparable pour le pays si les urnes n'étaient pas convenablement remplies, n'expriment en fait que la grande crainte d'une abstention élevée. Il est clair que ce ne sont pas les législatives en elles mêmes qui préoccupent le pouvoir qui boucle lui aussi son demi-siècle. L'intense fébrilité des autorités autour de la votation n'est pas à la hauteur du challenge, pas si stratégique que cela en termes de résultats. Pour les observateurs, la composition de la prochaine législature ne devrait pas être révolutionnée. Les nouveaux du paysage partisan ne seront pas assez nombreux pour peser sur une majorité peut être assez floue en termes de répartition mais qui ressemblerait à la précédente. Selon les politologues, la prochaine chambre ressemblerait à l'ersatz qu'affectionne le pouvoir : un bouquet d'islamisme, un autre de nationalisme et un chouia de modernité. Le but de la course contre la montre engagée par la Présidence, le gouvernement et les formations politiques n'est peut-être pas la même pour tous ces acteurs, mais tous courent dans la même direction. Les anciens partis veulent préserver leur situation de rentiers dans l'attelage du système, les tout nouveaux venus piaffent d'impatience pour accéder au gâteau, tandis que d'autres, comme le FFS, prennent des lanternes pour des vessies, s'illusionnant de pouvoir renverser les équilibres implantés, façonnés et dûment alimentés depuis la naissance du pluralisme. Quant au pouvoir, sa préoccupation est de se maintenir hors de la mêlée, quoique la preuve ne soit pas encore faite, mais toujours en tant que maître de cérémonie, maître du jeu politique. C'est tout l'objectif du nouveau package de réformes mis en œuvre voilà une année, jour pour jour, par Bouteflika mais qui n'ont rien apporté de neuf dans la vie politique, ni même dans les activités économiques. Pour de nombreux acteurs de la scène nationale, ces réformes ne sont que de la poudre aux yeux. Le pouvoir, inauguré par le premier coup d'Etat contre le gouvernement provisoire dans les années 1958, deux années avant l'Indépendance qu'Ahmed Ben Bella a fondue dans l'autoritarisme et le culte de l'homme providentiel, s'est résolu à prendre conscience que l'environnement international est de plus en plus défavorable aux pratiques à l'ancienne. Le Printemps arabe est passé et il n'a pas fini de faire des siennes même si des islamistes se sont hissés aux premières loges après le renversement de pouvoirs autocrates et dictatoriaux post-indépendance. Le pays n'est pas à l'abri de soubresauts terroristes Le pouvoir a beau ânonner sur l'exception algérienne, arguant que la question des islamistes a déjà coûté 200 000 morts, qu'elle est donc reléguée à l'arrière-plan, aujourd'hui, dans la mémoire collective, le pays n'est pas à l'abri de soubresauts. La colère de populations paupérisées, sinon indignées par l'accaparement de la rente par des affairistes et l'écartement d'entrepreneurs en mesure de produire sont loin d'être éteints. L'angoisse du lendemain a semé un mutisme qu'il ne faut pas confondre avec consentement. Du déjà vécu Un véritable mouvement d'opposition n'est pas encore né mais, selon des spécialistes, le processus en serait à ses frémissements. Les dernières élections, y compris le troisième mandat de Bouteflika, ont été frappées du sceau de l'abstention, comme jamais auparavant. Leurs scores ont été minimisés par la tricherie, et ce sont des officiels qui l'ont avoué pour expliquer la transparence de ce scrutin qui sera surveillé par quelque 500 observateurs étrangers ! Si Bouteflika se démène pour faire du prochain vote un objectif hautement stratégique, très nombreux sont les électeurs qui s'interrogent sur l'utilité de choisir des députés. Le goût amer du déjà vécu étant dans les esprits, et ce ne sont pas les défilés de prétendants devant l'écran de l'Unique et sur les ondes radiophoniques qui vont convaincre. L'image de députés votant à l'unanimité à main levée est loin d'être effacée, et l'électeur n'a retenu de l'institution législative que le salaire scandaleux que s'étaient empressés de voter ceux censés porter leurs douleurs, leurs revendications et aspirations. Faute de démocratie inaltérable, les Algériens restent sur leur soif. Et ce n'est ni le champ politique sous l'épaisse chape d'une pléthore de partis s'adonnant aux surenchères islamistes, nationalistes, ultralibérales ou étatiques, ni les promesses de Bouteflika qui étancheront cette soif. Celui-ci a indiqué que les prochaines élections législatives constitueront la première phase du processus de réformes globales, précisant que les résultats seront palpables progressivement à partir de ces élections. Les réformes d'avant n'ont pas existé et il en sera ainsi tant que ne sera pas forgé un projet sociétal axé sur l'époque du 3e millénaire que se partage l'humanité. Reste qu'on ne peut plus faire du nouveau avec l'ancien. L'ordinateur, Internet et les multimédias, de plus en plus importants, ont bouleversé les codes et les modes de communication chez nous également. La représentation du peuple, foule docile buvant les paroles de ses dirigeants, a fait son temps. La société a changé, sa jeunesse s'impatiente et ses forces vives ruent dans les brancards. Et ça commence à se savoir. Bon, elle n'a pas encore la culture politique mais, comme l'avancent les politologues, la rupture avec leurs aînés est, pour ainsi dire, consommée. Il en sortira bien quelque chose après “khatini el politique” puisque ces jeunes, les trois- quarts de la population, ont un regard très critique sur les formations politiques ainsi que leurs leaders. À leurs yeux, ils passent leur temps à discourir et à gesticuler pour redire du… déjà entendu. D. B