Résumé : Louisa découvre que son beau-père avait eu une relation avec une française. Sa frustration vient du fait que Nna Daouia lui menait la vie dure… Louisa taquine Kamel et le met en garde contre de telles tentations… Ce dernier la prend dans ses bras. Pas pour longtemps. Je me dégage de l'étreinte de Kamel et courut vers la cuisine. Je m'arrête net devant le potager : il y avait trois patates ! - Tu découvriras vite les économies de bout de chandelle de ma mère, me lance Kamel qui me regardait du seuil de la cuisine. Je jette un coup d'œil par la fenêtre, comme pour chercher une issue. Une réponse à toutes ces questions que je me posais depuis mon arrivée la veille. Mais le paysage n'était pas reluisant non plus. En plus de la grisaille, des toits en ardoise, surmontés de cheminées d'où se dégageait une fumée noirâtre, s'étendaient à perte de vue. - Cela suffira à peine pour une seule personne, dis-je en regardant mon mari. - Eh bien, il suffira de couper chaque pomme de terre en quatre. Nous aurions alors trois bouts chacun… Pour compenser, il faut faire comme ma mère : ajouter beaucoup d'eau dans la marmite pour avoir de la sauce qu'on pourra relever avec un piment… Cela nous permettra de tremper des croûtons de pain… Je n'en revenais pas… Depuis mon arrivée, il y a à peine quelques heures, je vais de mauvaise surprise en mauvaise surprise. Au bled, nous n'étions pas riches certes, mais j'ai toujours mangé à ma faim. Nous avions toujours des légumes, du lait, des œufs. Et même lorsque le spectre de la famine planait, nous avions toujours des olives ou des figues sèches à satiété. Kamel ouvrit le placard de la cuisine : - C'est là que ma mère entasse ses courses. Tu verras. Quand elle reviendra tout à l'heure, elle va mettre le café sur la plus haute étagère à côté du lait en poudre, du beurre et du pain blanc. Plus bas, tu as les épices, les condiments et les boîtes de conserve, les légumes secs et les pâtes. Puis tu as le sac de semoule. Et enfin l'huile d'olive ramenée du bled. Sous le potager, tu trouveras le casier des légumes, dans lequel il ne reste que quelques pommes de terre. Je me mets à éplucher les patates. Je tente d'ouvrir le robinet, mais l'eau était congelée. Je plonge alors mes pommes de terre dans une bassine pleine d'eau de pluie, avant d'allumer le réchaud sur lequel je dépose une marmite. Je regarde tristement les trois minables pommes de terre que je venais de rincer avant de les découper en quartier et de les jeter dans la marmite. Suivant les conseils de mon mari, je les arrose généreusement d'eau. Je rajoutais du sel et quelques pincées d'épices et ainsi que deux cuillerées d'huile d'olive. Nna Daouia… La belle et élégante dame que j'avais connue n'étais qu'une avare, doublée d'un caractère acariâtre… Elle gérait le budget et la famille avec une parcimonie sans égale… Je n'étais pas encore au bout de mes peines. Je frissonnais… De froid ou de dépit ? Je n'en savais rien. - Tu as froid Louisa ?, me demande Kamel. Je haussais les épaules sans répondre… Dehors la pluie continuait sa litanie et le jour ne se montrait point. - Je vais mettre du charbon dans le poêle… Tant pis pour les remontrances de ma mère. -Mais on gèle chez toi, m'écriais-je… Comment faites-vous donc pour passer l'hiver ? Il sourit : - Nous allumons le poêle bien sûr… Mais juste le temps de réchauffer le salon… Ma mère tente d'économiser au maximum sur la ration de bois. - C'est infernal… Je ne pourrais jamais supporter ce froid glacial. - Tu t'y habitueras tout comme nous. - Cela m'étonnerait… Hier si j'ai pu dormir, c'est parce que j'étais épuisée… Mais ce soir, avec ce froid, je ne pense pas que je vais fermer l'œil. - Je te raconterai des contes pour enfants… Il se met à rire : - Louisa… Tu t'habitueras au froid et à la grisaille de Paris… Tu y seras obligée d'ailleurs… - Obligée… Tu ne m'avais pas dit que tu habitais sous les toits d'un immeuble délabré, qui menace ruine, et que ta mère économise sou par sou en vous privant de tout, rien que pour épater les gens du bled à chaque occasion. Non Kamel… Je ne sais pas ce que je vais devenir, mais crois-moi il me sera très difficile de supporter cette vie. - Même avec moi… ? Je le regardais mettre du charbon dans le poêle et le contemplais un moment sans répondre. Même en pyjama, les cheveux en bataille et une barbe hirsute, mon mari était beau. Je l'aimais tant… Je sentais que je pourrais résister à tout auprès de lui… Mais… Mais pourrais-je tenir longtemps ? (À suivre) Y. H.