Résumé : Nna Louisa reparle de son premier jour à Paris. De ce déjeuner frugal que sa belle-mère lui avait demandé de préparer. Elle est déçue. Bien déçue. Mais que pouvait-elle faire maintenant. Une fois rentrée, sa belle-mère lui demande de mettre la table, avant d'aller inspecter sa cuisine. Nna Daouia enlève le couvert de la marmite et se met à humer la sauce : - Tu as rajouté de l'huile d'olive ? - à peine deux cuillères pour relever le goût. - Bien… Mais la prochaine fois n'en mets qu'une cuillère. L'huile je la ramène du bled. Il ne faut pas la gaspiller. Je la regarde déposer trois bouts de pomme de terre dans chaque assiette. Kamel n'avait donc pas exagéré. Sa mère faisait ses comptes et les faisait bien. Je tente d'avaler ce “repas” qui ressemblait plutôt à une dînette… C'est-à-dire ces repas que les petites filles s'amusaient à préparer pour jouer, avec des bouts de légumes et de l'eau. - Mets de la galette dans la sauce. Cela te permettra de couper la faim. Da L'Hocine mastiquait la galette d'une manière grotesque. Il n'avait presque pas de dents, et n'arrivait pas à bien mâcher. Il me regarde et sourit : - Mange Louisa. C'est encore chaud… Tu devrais en profiter. Nna Daouia s'assoit : - Il fait trop chaud dans cette pièce… Kamel a allumé le poêle… Il gaspille trop de charbon ce garçon. Je frissonnais encore. Nna Daouia ne va tout de même pas éteindre le poêle… Non… Ce serait la torture… Mes mains, mes pieds et tout mon corps étaient ankylosés de froid. - Louisa… Il faut que tu saches que nous ne sommes ici que des paysans en quête d'un peu de confort… Nous économisons au maximum sur nos revenus… Et quels revenus ! Le salaire de ton beau-père suffit à peine à couvrir les besoins quotidiens, et celui de ton mari nous permet d'économiser quelque peu… Avec quoi j'aurais construit au bled ? Hein ? Dis-moi ? Si je n'étais pas une bonne gérante, tout le monde aurait crevé de faim ici, et depuis belle lurette… Kamel ouvrit la porte d'entrée. - Ah te voilà toi… On allait déjeuner sans ta présence mon fils… Où étais-tu donc parti avec ce froid de canard ? - Juste en bas… Je voulais prendre un peu d'air. Il se met près de moi et me prend la main sous la table. à mon air dépité, il avait compris que sa mère avait dû lancer quelques remarques acerbes. Nna Daouia prend une assiette et lui sert sa ration de patates. - Voilà. Il ne reste plus rien au fond de la marmite. Ce soir nous allons nous contenter d'olives et de figues sèches. Mon estomac criait famine… J'avais envie de pleurer… J'étais malheureuse ce jour-là comme pas une. Kamel serre ma main… On dirait qu'il voulait me transmettre un message. Il avale en hâte son repas et se lève. Je me mets alors à débarrasser la table. Nna Daouia s'allonge sur un canapé qui faisait face à celui de son mari et se met à roter. - J'ai pris des crêpes avec du lait chez Hassina… Je suis passée la voir avant d'aller au marché… Tu m'entends l'Hocine. Mon beau-père hoche la tête : -Oui… Tu t'arranges toujours pour faire le plein toi… Et nous, tu nous prives de tout. Elle se relève sur un coude et le regarde en face : - Tu n'as qu'à faire la même chose… Nous avons dépensé une fortune hier pour le couscous… Je ne sais pas comment tu fais pour avoir toujours de mauvaises idées… Inviter une dizaine de personnes à la fois pour un dîner, je crois que cela n'arrange pas beaucoup notre bourse. - Voyons Daouia… Nous pouvions quand même desserrer les cordons de cette satanée bourse une fois par hasard. L'événement en valait la peine… Nous venons de marier notre fils aîné. - J'ai déjà donné une grande fête au village. - Tu oublies les amis et les proches qui nous invitent ici en France à chaque occasion… Tu aimes bien te rendre chez eux pour remplir ton estomac n'est-ce pas ? Et puis, toi, tu ne te rends pas chez eux que sur invitation… - C'est ça… Commence à me farcir la tête avec des arguments sans valeur. Elle toussote et se rallonge avant de me lancer : - Louisa… Fais attention… Fais la vaisselle et met de l'ordre dans la cuisine… Il y a une bassine pleine d'eau de pluie… Pas la peine d'utiliser le robinet… Je termine ma vaisselle et je rejoins Kamel qui s'était retiré dans “notre chambre”. (À suivre) Y. H.