Résumé : Nna Daouia parut heureuse de me revoir. Naïma, sa nièce, me confia que pour la première fois depuis des années, elle consentait à parler de son passé. Comme la veille, mon hôtesse était allongée sur sa natte. Elle reprend le récit là où on l'avait arrêté. On revint donc à Paris. Elle pousse un long soupir : - Mon mari ne voulait pas me décevoir… Mais la déception était déjà en moi… Je sentais comme un fardeau sur mon cœur… Je ne pouvais plus rêver… Paris était pour moi, comme pour toutes les femmes de mon village, l'éden ! Et ne voilà-t-il pas que je n'entrevoyais de cet éden qu'une mansarde hideuse, en sus de cette curieuse façon de vivre, que mes beaux-parents avaient adoptée. Si au village on craignait la misère, ici on l'avait appréciée. Oui… Je me disais que les trois quarts d'une patate ne pouvaient ni réchauffer un estomac ni redonner les forces requises à une personne normalement constituée. La pluie tombait toujours… Un vent glacial s'infiltrait à travers les vitres cassées, et sous les portes. Le poêle était allumé, mais je frissonnais toujours de froid. Mon beau-père était remonté de chez son voisin et avait repris sa place sur son canapé. On ne devait déjeuner qu'au retour de ma belle-mère. Cette dernière tardait à rentrer… Je retournais dans ma chambre où Kamel terminait de s'habiller : - Tu sors… ? - Je vais descendre faire un tour… Je n'ai pas l'habitude de rester ainsi enfermé toute la journée. - Tu devrais d'abord déjeuner. - Non… Ma mère n'aime pas qu'on mange sans elle, sauf lorsqu'elle est absente de la maison pour plus d'une journée… Tu peux te rendormir si tu veux.. Je me jette sur ma misérable couche. Mais je frissonnais toujours de froid. La couverture mince et trouée à plusieurs endroits, n'était pas d'un grand secours. Kamel me passe un blouson en laine. - Tiens… Tu te couvres avec… Je vais acheter une nouvelle couverture demain. J'ébauche un sourire ironique : - Quelle bonne nouvelle ! Et que va dire la patronne ? - Elle n'aura rien à dire… Ce n'est pas à elle de délier les cordons de la bourse… J'ai réussi à mettre un peu d'argent de côté… Des économies puisées sur des heures supplémentaire, ou sur des soldes au marché… Elle ne s'inquiète en tous les cas que de mon salaire… Elle est très suspicieuse là-dessus… Quand je vais à la banque, elle m'accompagne et s'assure que je lui ai remis l'intégralité de ma paie. - Mais maintenant tu es marié ! Il pousse un soupir : - C'est là le drame… Je crois que je ferais mieux de chercher tout de suite un appartement… Ne serais-ce qu'une petite chambre quelque part… Je me laisse aller sur ma couche en m'emmitouflant dans le blouson de Kamel. Je sentais que les aspirations de mon mari n'allaient pas enchanter ma belle-mère… Elle nous mettra sûrement des bâtons dans les roues et m'accusera, la première, de tous les maux. Ne voulant pas trop insister, je fermais les yeux un moment. Ai-je dormi ? Je ne sais pas… En tous les cas, des pas me réveillèrent, et des éclats de voix me parvinrent. Mon beau-père discutait… Il criait plutôt, alors que la voix aiguë de Nna Daouia s'élevait au-dessus de la sienne. Je me lève en remettant de l'ordre dans mes vêtements. Vais-je sortir de ma chambre au risque de les interrompre ? Ou bien ferais-je mieux d'attendre un peu ? La porte s'ouvrit brutalement : - Ah tu es là ? Je t'avais bien dis de t'occuper du ménage et du déjeuner ! - C'est fait Nna Daouia… J'ai mis un peu d'ordre, et j'ai préparé les patates et la galette. - Où est ton mari ? - Il est sorti faire un tour. - Où ça ? - Je n'en sais rien… Dans le quartier probablement. - Eh bien tant pis… Nous allons déjeuner sans lui… Allez, dépêche-toi de mettre la table… Je vais m'occuper des provisions… Euh… Tu ne toucheras pas au placard de la cuisine tant que je ne te le demande pas. Hein... Tu as compris ? Tu ne feras que ce que je te dirai… Tu suivras mes directives à la lettre… Ici c'est moi la maîtresse. Je refoule mes larmes… Nna Daouia était sans pitié même avec ses propres enfants… Je mets les couverts et dépose la marmite et la galette sur la table. Da l'Hocine tire une chaise et s'assoit en attendant que sa femme vienne le servir. Il portait une robe de chambre usée, et dont la couleur délavée indiquait qu'elle était d'un bleu foncé autrefois. (À suivre) Y. H.