Le président français François Hollande recevait, hier soir à l'Elysée, son homologue russe Vladimir Poutine. La question de la Syrie dont la situation empire de jour en jour, avec plus de 13 000 morts depuis un an, ne pouvait être éludée par les deux chefs d'Etat. D'autant plus que François Hollande a évoqué le sujet sur le plateau de France 2, n'excluant pas l'option militaire, prenant toutefois le soin de préciser qu'aucune initiative de ce type n'aurait l'aval de la France sans un mandat du Conseil de sécurité de l'ONU. Or, pour que l'ONU puisse délivrer un tel mandat, il faudrait que la Russie et la Chine, mais surtout la Russie, fassent évoluer leur position et renoncent à l'usage de leur veto au Conseil de sécurité. Ce qui est loin de se profiler pour l'instant. Le président français s'est précisément engagé à œuvrer dans ce sens en tentant d'infléchir la position du Kremlin. Premier grand test diplomatique pour le tout nouveau locataire de l'Elysée et premières désillusions sans doute. Vladimir Poutine a d'ailleurs annoncé la couleur avant même d'avoir quitté le sol russe : il ne changerait pas sa position sur la Syrie sous la pression. Plusieurs raisons militent à ce que la Russie adopte cette attitude malgré les pressions internationales multiformes. D'abord, le chaos semé par l'Otan en Libye en violation flagrante du mandat du Conseil de sécurité a échaudé et Moscou et Pékin, qui ne voudraient en aucun cas voir se reproduire le même scénario en Syrie. Ensuite, connaissant Vladimir Poutine, son école politique et idéologique et la vision du monde qui en découle, on peut comprendre aisément qu'il veille à ce que la Russie tienne son rang parmi les grandes puissances. Et quoi de plus naturel alors que de s'opposer aux visées des Etats-Unis, de ses alliés occidentaux et de l'Otan ? Mais au-delà de ces considérations qu'on pourrait imputer à une forme de rancœur et d'orgueil ou à des vestiges encore tenaces de la Guerre froide, il y a d'énormes intérêts en jeu pour la Russie. Des intérêts économiques, politiques et géostratégiques. Au plan géostratégique, la Syrie de la famille Al Assad est le seul pays qui abrite une base navale russe, qui permet un accès direct à la Méditerranée et assure une présence militaire dans la zone sensible du Proche-Orient. Au plan économique, il s'agit d'un partenaire privilégié, ne serait-ce que parce c'est un client important du complexe militaro-industriel russe. Du point de vue politique, les intérêts sont tout aussi grands pour le Kremlin. Une chute du régime syrien actuel, violente ou négociée, impliquerait à coup sûr l'arrivée d'un régime islamiste au pouvoir, conformément aux vœux des monarchies du Golfe qui font feu de tout bois pour atteindre cet objectif. Les intérêts économiques et géostratégiques de la Russie seraient alors gravement compromis. Et, pire que cela, le pays pourrait connaître de graves troubles intérieurs. La multiplication de régimes islamistes au Moyen Orient et en Afrique du Nord pourrait faire des émules dans les Républiques du Caucase affiliées à la Fédération de Russie ou situées à ses frontières, les populations de ces Etats étant majoritairement musulmanes. L'exemple de la Tchétchénie a trop fortement marqué l'histoire récente de la Russie pour ne pas nourrir des craintes à ce sujet. À l'heure où nous mettons sous presse, rien n'a filtré des entretiens entre Vladimir Poutine et François Hollande. Mais il y a fort à parier que le maître du Kremlin n'acceptera ni le principe d'une intervention militaire en Syrie, ni même l'exil de Bachar Al Assad, solution que semble privilégier Washington, selon un scénario expérimenté au Yémen. M.A B