Résumé : Après le dîner, Nna Daouia, qui avait mangé comme un ogre, s'affala sur sa couche. Louisa termine de nettoyer avant de rejoindre son mari dans leur chambre. Ce dernier l'attendait vraisemblablement pour lui parler… Elle lui raconte la scène qu'elle venait d'avoir avec sa mère… Il est étonné d'apprendre qu'elle avait pu s'imposer. Il s'étire et poursuit : - Moi je ne m'en plains pas trop… Tu as ramené beaucoup de joie dans la maison Louisa. Tu es belle, intelligente et tu as un grand cœur… Je suis chanceux. Je ne regrette pas de t'avoir à mes côtés. Le lendemain était un dimanche. Da L'Hocine ne travaillait pas et Nna Daouia l'entraîna avec elle chez des parents. Kamel dormait, mais Aïssa était levé. Je prépare un café et profite de ce moment d'intimité avec mon frère. Ce dernier ne cessait de me contempler… On dirait que cela faisait des siècles qu'il ne m'avait pas vue. Il remarque que j'avais changé de coiffure et qu'à la place de mes longues tresses, je coiffais mes cheveux en “tomate” que je retenais avec des barrettes invisibles sur la nuque. La veille au soir, en rentrant de Paris, je portais une robe. Aïssa ne m'avait jamais vue ainsi attifée. - Tu as changé ma sœur… Tu as même beaucoup changé en même pas une année. Tu as certes embelli, mais je te trouve amaigrie et même pâle. Je pousse un long soupir : - Je viens de me relever d'une fausse couche mon frère… Et puis il y a aussi la nostalgie… Ah ! Mon frère, tu en apprendras bientôt un bout… Aïssa sourit : - Tu oublies vite petite sœur… Tu as oublié que j'ai passé plusieurs années au front et loin de vous tous… Je l'interrompt : - Ce n'est pas du tout la même chose… Toi on t'a obligé à t'enrôler dans l'armée et à faire la guerre… Mais moi, j'ai tout de même choisi cette vie en acceptant de me lier à Kamel. - Tu ne le regrettes pas j'espère ? -Non… Non pas du tout… Kamel est un mari très attentionné… Il ne me refuse rien… Je peux même dire qu'il est trop bon avec moi. - Mais les autres… - Les autres ? Je ne peux pas dire du mal de mes beaux-parents… Da L'Hocine est adorable. Nna Daouia a un caractère acerbe et n'est pas facile à vivre certes, mais on s'habitue à tout dans la vie. Qui n'est pas malheureux ici dans cette grande ville, où chacun doit gagner durement sa pitance et affronter quotidiennement les aléas dus à son statut d'émigré ou de réfugié ? Tu verras dans quelque temps, qu'il n'est pas aisé de vivre dans un pays étranger et loin de tous les gens qu'on aime… Moi à ta place, je n'aurais pas quitté le bled Aïssa… Nos parents avaient fondé tant d'espoirs sur toi. Aïssa me tapote la main : - Tu ne peux pas comprendre ma sœur… Tu ne peux pas comprendre… J'ai pris goût à cette triste vie dont tu parles… Depuis que j'ai mis les pieds en Europe, je ne rêve plus que d'y revenir. Le bled, c'est fini pour moi… Je ne veux pas moisir dans ce coin perdu, ni compter les jours qui me séparent de chaque saison afin de prévoir les semences, les récoltes, la cueillette des olives, ou penser à l'achat et à la vente de bétail… Fini tout ça pour moi… Je veux vivre mieux… Beaucoup mieux que les autres. Et ce n'est qu'ici en France que je pourrai prendre mon essor et construire mon avenir. Je regarde Aïssa un moment. Mon frère était bien bâti et surtout très beau. Bientôt une Française lui mettra le grappin dessus et ce sera l'inévitable oubli. Je ferme le yeux et tente d'effacer l'image hideuse qui se dressait devant mes yeux. - Hé Louisa… Tu es là ? J'ouvris mes paupières : - Oui… Je pensais juste à quelque chose… Heu... Tu veux encore du café ? Je remplis encore la tasse de Aïssa et il sourit : - D'après ce que j'ai compris, tu pratiques la voyance ici aussi. - Oui… Cela te paraît bizarre ? Il hausse les épaules : -Non… Mais je pensais qu'une fois mariée, tu laisseras tomber tout ça… - Je le pensais moi aussi… Mais il y a des obligations qui nous poussent parfois à revenir sur nos décisions. - Bien parlé… Tu vois donc comme j'ai raison de te dire que seule l'Europe m'intéresse depuis que j'ai foulé son sol ? Je ne répondis pas et il poursuit : - J'ai compris hier soir que Nna Daouia n'est pas facile à vivre… Vos éclats de voix nous sont parvenus au salon. Je hausse les épaules : - Elle est comme toutes les belles-mères… Un peu possessive, un peu jalouse et autoritaire… Mais je pense qu'elle a compris que je pourrai reprendre le dessus… Maintenant que j'ai ma clientèle et que je gagne bien ma vie, elle ne pourra plus me dominer. Et puis tu es là. Désormais, je me sentirai moins seule. (À suivre) Y. H.