Résumé : Louisa eut une houleuse conversation dans la cuisine avec sa belle-mère. Personne n'avait encore réussi à tenir tête à cette dernière. Elle est offusquée de voir sa belle-fille s'imposer à elle. Mais Louisa n'en démordit pas et la menace d'arrêter la voyance… Nna Daouia craint de perdre son pourcentage. Elle sursaute : - Que veux-tu de plus que ce que tu viens de proposer ? - Eh bien, je vais faire en sorte que tout le monde ait son compte. - Ce qui veut dire ? - Je vais veiller à ce que Da L'Hocine, Kamel et même Malek, lorsqu'il reviendra du service national, aient toujours à manger et vivent à l'aise. Tu devrais penser à marier ton jeune fils… Ne sois pas choquée s'il ne devra plus te verser son salaire. - Mais il l'a toujours fait… Pourquoi veux-tu qu'il change ? Je vais prendre en charge son mariage. - Et où va-t-il donc loger ? - Ici avec nous… Heu… Nous verrons au moment opportun. Prise dans ma frénésie, je hochais la tête : - Ce cagibi me paraît trop étroit pour nous tous… Elle pâlit : - Que veux-tu insinuer ? Je tente de calmer sa colère qui sourdait : - Oh rien. Je voulais juste te dire que moi et Kamel envisageons de nous installer ailleurs… Pas dans l'immédiat bien sûr… Mais je te rassure, je viendrai tous les jours te rendre visite et te remettre ton pourcentage. Dans le cas contraire, je veux dire, si tu t'opposes à notre décision, tu ne nous reverras plus jamais, ni moi ni ton fils… Encore moins mon argent. Nna Daouia s'affale sur une chaise : - Tu es diabolique Louisa… Je te prenais pour une femme plus sensée et moins coriace. - Mais je le suis, jusqu'à preuve du contraire. - Le contraire est là sous mes yeux… Tu me prends mon fils et tu me menaces. - Voyons belle-maman, je ne te prends pas ton fils… Je vais juste changer sa vie et lui offrir quelque chose de mieux… Qui n'aimerait pas voir ses enfants heureux et comblés ? Elle pousse un long soupir de lassitude et je poursuis : - Je crois qu'il est temps de dresser la table pour le dîner. Mon couscous va refroidir. Pour une fois, depuis plus mon arrivée du bled, le dîner prenait toute sa signification. Les hommes se régalèrent, et Da L'Hocine, trouvant la viande à son goût, en reprit deux fois. Kamel me sourit… Il avait compris que je voulais changer… Changer tout dans cette maison. Aïssa, qui ne se doutait de rien, se contenta de manger tout en nous donnant des nouvelles du bled. Mes parents allaient bien, et j'en étais heureuse pour eux et soulagée. Les terres avaient été cultivées et promettaient. Beaucoup de gens nous enviaient depuis que Kamel avait pris nos affaires en main. Ma cousine Tassadit, une petite nièce à mon père, et qui avait à n'en pas douter un faible pour Aïssa, vivait chez nous sous prétexte d'aider ma mère à tenir la maison. Ce qui n'était pas totalement faux. Je fais un clin d'œil à Aïssa : - Il y a tout de même quelqu'un qui fait ta lessive et te prépare à mange depuis que j'ai quitté la maison… C'est malin ça, n'est-ce pas ? Il sourit : - Je ne m'en plains pas trop… Mère se fait trop vieille maintenant. Je pense à la vie qu'il va mener à Paris… Une vie d'émigrés ! Pas toujours facile l'existence ! Aïssa va devoir cohabiter dans un dortoir. Ce qui sous-entend qu'il doit partager les lieux avec plusieurs autres hommes célibataires, ou qui travaillent trop loin de chez eux. Il va devoir manger dans des gargotes malsaines et se contenter de sandwichs graisseux… Aïssa avait tout pour vivre à l'aise au bled… Comme s'il lisait dans mes pensées, mon frère me lance : - Tu sais bien que je n'aime pas trop la vie qu'on mène là-bas… Je ne suis pas fait pour travailler la terre… Pense ce que tu voudras, c'est plus fort que moi… Depuis que j'ai connu l'Europe, bien que cela se soit passé durant l'étape délicate de la Deuxième Guerre mondiale, je ne pouvais plus renouer avec la vie de paysan. Da L'Hocine lui tapote la main : - Je te comprends mon fils… Nous avons tous quitté la terre des ancêtres et suivi nos ambitions… Cela ne peut toujours pas s'avérer facile, mais l'être humain est ainsi fait. Il s'adapte à tout, et pourtant il n'est jamais content. Je me lève pour débarrasser la table, avant de revenir avec les fromages et la corbeille de fruits. (À suivre) Y. H.