L'exercice de la démocratie exige clarté, loyauté et tolérance de la part de tous ceux qui s'en réclament à juste titre. Son instauration est si simple et si facile dès lors qu'on la pratique dans la transparence ; elle devient de plus en plus difficile à saisir lorsqu'on la complique à dessein pour n'en garder que les apparences. Le FLN de novembre 1954 a été constitué à l'époque en parti unique par mesure de stratégie pour permettre de rassembler toutes les forces vives du peuple et de combiner leur action dans la lutte contre l'ennemi pour la restauration de la souveraineté nationale usurpée et l'émancipation du peuple algérien à exercer pleinement ses droits politiques. Il avait terminé sa mission principale à l'indépendance. Une crise très grave avait éclaté en son sein, il s'est disloqué et son existence en tant que tel n'avait plus de raison d'être valable, l'essentiel ayant été atteint : la restauration de la souveraineté nationale. D'autres FLNs lui ont succédé en trois périodes : celui de 1962 à 1965, puis de 1965 à 1978 et enfin de 1978 à ce jour. Tous ont essayé depuis de s'organiser, se réorganiser, se sourcer, se ressourcer, se structurer, se restructurer sans fin pour se donner l'image du FLN de 1954 dont ils se réclament sans pudeur et dont les résultats de leur action ont conduit le pays à la ruine dans tous les domaines. Tous ont vécu dans les intrigues, les luttes de clans et les règlements de compte bien connus qui ont caractérisé les 26 années de l'histoire de l'Algérie. Aujourd'hui encore, on continue d'agiter, au nom de l'unité nationale qu'on voudrait protéger, la peur de l'anarchie et des règlements de compte pour justifier sinon le monopole hier du parti unique du moins une position dominante de l'actuel parti, et la condamnation du multipartisme incriminant la “mésentente” des partis politiques dans le jeu démocratique. Pourtant les tragiques événements d'Octobre 1988 avaient bien sonné le glas du parti unique, donnant un démenti cinglant à la monstrueuse tricherie. Cette explosion de révolte populaire n'était ni pour protester contre le manque de pain et de farine (aucune boulangerie n'avait été attaquée lors de ces événements), ni contre le parti du FLN en tant que tel, ni contre les hommes qui le composent, mais contre le système dans son ensemble avec son parti unique et ses organisations satellites, sa philosophie utopique, ses méthodes de travail anarchiques, ses principes d'action et d'organisation antidémocratiques. Ces événements d'Octobre ne sont en réalité que le résultat d'une très grave crise de confiance populaire due à tant d'espoirs déçus. Qu'a-t-on fait pour regagner la confiance du peuple ? Si l'on juge d'après la prolifération des promesses dans les discours des responsables et les résultats obtenus, on ne peut qu'être sceptique. Certes, on a habillé tant bien que mal une Constitution (qui était toute à refaire par une Assemblée souveraine librement élue) de la robe “démocratie” par quelques textes lui donnant une belle allure faisant croire à l'Etat de droit, mais sur le plan pratique rien n'a changé concrètement des méthodes habituellement utilisées. En effet, en autorisant les citoyens à l'exercice de leurs droits (art. 40) pour la libre constitution des partis politiques sans leur donner les moyens nécessaires pour les exercer, quelles chances vont avoir ces nouveaux partis pour se mesurer à un FLN avec ses structures et ses organisations satellites, instruments du pouvoir depuis 26 ans, disposant des moyens médiatiques, immobiliers, matériels et financiers à l'échelle nationale que l'Etat a toujours mis à sa disposition ? Le FLN continue de jouir du monopole de droits acquis contraires à la règle démocratique, d'où la désillusion pour les autres partis ; on leur enlève d'une main ce qu'on leur a donné de l'autre. On triche délibérément comme par le passé, dans le but inavoué de s'assurer le monopole du pouvoir en lui donnant cette fois une forme de légitimation par les textes, d'où la manière de se prévaloir sans cesse dans les discours, du concept de l'Etat de droit.L'actuel FLN, après sa restructuration qui a suivi le dernier congrès, déploie une activité tous azimuts pour se maintenir au pouvoir qu'il ne supporte pas de partager avec les autres partis sans une position de dominateur. Ce serait normal et légitime de sa part dans une conjoncture où les autres partis jouiraient des mêmes moyens que lui, mais ce qui n'est pas normal c'est l'appui complice dont il bénéficie sans restriction de la part des dirigeants, responsables actuels de la mise à exécution des nouveaux textes constitutionnels favorisant l'entrée dans l'ère démocratique. Les autres partis : les anciennement “clandestins” (PAGS et les islamistes) et les nouveau-nés (une vingtaine ou plus). Le PAGS, lui aussi, agit sur un terrain conquis depuis très longtemps et son impact insoupçonné est certain ; ses militants, héritiers du PCA, sont de bonne foi, très expérimentés, dévoués et rompus aux méthodes modernes d'organisation. Les islamistes, dont la foi et le dévouement ne sont pas à démontrer, se cherchent encore tant sur le plan organisationnel que sur le plan du programme politique, susceptible de rallier à eux les citoyens croyants pratiquants ou non pratiquants. L'expérience iranienne ayant beaucoup terni l'image de la République islamique les a considérablement desservis. Les partis nouveau-nés, quant à eux (ne disposant ni de programme sérieux connu ni de structure organisationnelle), leur activité dans les circonstances actuelles ne les mènera pas plus loin que le rayon de leur quartier, de leur douar ou de leur région d'origine. L'ouverture démocratique est mal partie. Les chances du citoyen d'exercer ses droits ne sont pas égales pour tous. L'article 40 apparaît dans ces conditions comme un os à ronger offert aux autres partis, pendant que le FLN se taille la part du lion. Ceci dit, si l'on veut réellement reconquérir la confiance populaire et éviter les crises de dérapage du processus de démocratisation, la réunion d'un congrès ouvert à tous et à toutes les composantes du FLN de novembre 1954 est la seule chance possible. Un congrès pour l'élaboration d'un projet de charte pour l'instauration, l'exercice et la défense de la démocratie s'impose comme la seule voie raisonnable ; charte dans laquelle seront énoncées des règles morales et de déontologie de comportement politique pour les citoyens et l'ensemble du corps politique. Celui-ci pourrait être composé de trois partis qui émergeront par des élections libres à travers le pays pour une durée de dix ans, par exemple au début, et par la suite, avec l'usage des règles démocratiques acquises, le peuple pourra être consulté par référendum en vue de la reconduction de la règle établie de trois partis, ou pour décider d'une nouvelle règle. Ces partis se découvriront par la convergence ou le rapprochement de leurs sensibilités et finiront par se distinguer les uns des autres par leur programme et leur philosophie politique au sein d'une Assemblée constituante nouvelle composée de députés librement élus à travers tout le territoire. Par cette façon de faire, nous éviterons de verser dans l'autre extrémité, aussi négative que celle du parti unique, la grande multiplication de partis qui engendre la confusion et la désorientation des citoyens à établir leur choix conformément à des critères simples et sans embrouille. Dans l'énoncé de ces règles de déontologie, je suggérerai, entre autres recommandations qui pourraient être faites, de : 1- bannir à jamais l'usage du mensonge, de la tricherie ou de la force pour régler les problèmes de la société ; 2- nous prémunir contre tous les facteurs de division de quelque idéologie que ce soit, à tendance exclusiviste qui ne peuvent nous mener qu'à la guerre civile, à l'anarchie et à la déstabilisation de la nation. Et ainsi de suite pour d'autres recommandations. À cette fin, il nous sera nécessaire de créer un organisme institutionnalisé, composé d'un nombre de personnalités hautement qualifiées par leur savoir et leurs qualités morales incontestées, dévouées, désintéressées ; personnalités qui auront pour seule mission de veiller strictement au respect de la règle de déontologie établie et à l'élaboration de laquelle elles pourront d'ailleurs participer puis l'enrichir en tant que gardiennes de cette règle. Et ainsi, par le fonctionnement de cette démocratie, nous montrerons que notre devise “Par le peuple et pour le peuple” n'est plus un slogan de circonstance mais un choix délibéré digne de l'Algérie et de ses espérances. (*) Ancien ambassadeur, vice-président de la LADH