C'est un beau dialogue entre un père et sa fille. Dans le jardin de la maison, un échange émouvant est tenu par un homme qui a vu tant d'épreuves défilées dans sa vie et une jeune femme dont la jeunesse a été volée, suite à un évènement survenu en 1992. Elle le provoque, elle l'incite à parler de son histoire, de l'Histoire de l'Algérie, de la décennie noire. Mais le père est blasé, ne livre pas facilement ses souvenirs. Il est mélancolique et semble ravagé. Cette petite histoire est un morceau des confidences que livre Drifa Mezenner, dans son documentaire de vingt-minutes J'ai habité l'absence deux fois, projeté avant-hier à la Cinémathèque dans le cadre des 10e Rencontres cinématographiques de Béjaïa. Ce documentaire de 21 minutes, réalisé dans le cadre des Rencontres du film documentaire de Béjaïa, “Béjaïa Doc”, est un témoignage, des confessions intimes d'une fille, une sœur, une femme algérienne sur son époque et sur son histoire personnelle. L'évènement qui sert de fil conducteur à la réalisatrice est le départ de son frère, Sofiane, pour l'Angleterre. Drifa Mezenner raconte cette absence de vingt ans, et raconte l'impact que ce départ a eu sur sa famille et sur elle-même. Sorti l'année dernière, J'ai habité l'absence deux fois est une œuvre poétique sur les rapports familiaux et sociaux. Il reflète une dure réalité, partagé par un grand nombre de familles algériennes : le départ du fils à la recherche d'un meilleur avenir. Informé de la réalisation de ce documentaire, Sofiane écrit à sa sœur. Dans sa lettre, il lui raconte ses souvenirs, ses aspirations, ses désespoirs. Sofiane parle également de sa nouvelle vie, tandis que Drifa n'a rien à lui révéler : “Je ne sais plus ce qui s'est passé depuis tout ce temps. Ma mémoire a été refoulée”, confie-t-elle. J'ai habité l'absence deux fois propose une double réflexion sur l'absence : l'absence d'un vécu, d'une vie normale en raison de la décennie noire et l'absence d'un proche. Le regard lucide de la réalisatrice affronte le passé et nous confronte à une réalité qui nous place dans le malaise, car il est question de refoulement et d'enfermement. Il est question également dans le film de la mère qui croit encore en le retour de son enfant, de la nostalgie pour le quartier qui représente l'enfance (Kouba), et d'attente. “En réalisant ce doc”, explique Drifa Mezenner lors du débat à l'issue de la projection, “je voulais être sincère et raconter une histoire, celle de l'absence et de ses séquelles. Mon objectif était d'apporter des images sur notre époque”. Mais ce film dépasse les aspirations de la créatrice elle-même puisqu'il est une œuvre aboutie qui touche et qui incite à la réflexion. H. M.