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ALEXIS JENNI, PRIX GONCOURT 2011, À “LIBERTE"
“La littérature peut fournir des images pour voir le monde autrement"
Publié dans Liberté le 18 - 06 - 2012

Invité en Algérie pour participer à une rencontre dans le cadre du 5e Feliv, l'auteur qui signe l'Art français de la guerre, un premier roman dense et abouti, dans lequel il dissèque la société française contemporaine, en renvoyant ses maux aux non-dits de l'histoire. Dans cet entretien, il revient sur l'élaboration de son œuvre.
Liberté : Votre roman, l'Art français de la guerre, évolue sur deux niveaux : le premier, c'est la fiction à proprement parler où vous placez le lecteur dans l'histoire, et le second, ce sont ces petits retours vers le présent. C'est à la fois la fiction et le commentaire, l'histoire et ses effets...
Alexis Jenni : Il y a une partie passé et une partie présent, qui correspondent à deux modes d'écriture différents, et qui sont complètement voulus. Le passé étant la partie romanesque traitée comme un roman d'aventure ; la partie présent se présente comme une réflexion sur le monde contemporain, sur le monde qui m'entoure avec une sorte d'hypothèse qui est de dire que les violences et les blocages de la France contemporaine trouvent leurs racines dans tout ce qui s'est passé depuis 1944 : la reconstruction de la France après la guerre et puis les deux guerres coloniales (Indochine et Algérie) qui se sont mal passées et finalement interrompues brutalement. En 1962, c'est comme si on avait tranché un peu les choses, comme si rien ne s'était passé. Et depuis, toute cette histoire-là, tout ce qui s'est passé et qui est très compliqué à comprendre, vient obséder la France, vient obséder l'imaginaire collectif français. Il me semble qu'une bonne part des blocages trouvent leurs racines dans l'impossibilité à raconter cette histoire-là, ce passé. Il y a la motivation du roman d'aventure avec des lointains, des paysages, des descriptions, etc. mais ce qui m'intéressait aussi, c'étaient les échos de cette histoire-là dans notre monde de maintenant. La France de maintenant ne va pas très bien pour des tas de points de vue. Mais ce qui est terrible, cette espèce d'obsession de l'étranger, cette obsession de l'identité qui, à mon sens, historiquement ne correspond pas à la nature profonde de la France qui est un pays de mélange, de brassage, d'assimilation de toute sorte d'influences. Par exemple, ce qui a été effrayant dans les récentes élections, c'est de voir qu'il peut y avoir des discours politiques qui sont basés là-dessus et des discours majoritaires. Il y a donc des choses qui ne vont pas bien, qui me touchent personnellement, notamment la difficulté de ce pays à se projeter dans l'avenir.
Les effets dans votre roman, vous les situez dans le monde d'aujourd'hui, où la violence est reproduite...
J'avais, au départ, des problèmes et le roman m'a aidé à y voir un peu plus clair. En France, il y a des problèmes sociaux, et on gère cela de façon purement policière. On essaie de les transformer en problèmes ethniques alors que fondamentalement, ce sont des problèmes sociaux. Ça ne fait que générer plus de violence, une sorte de fuite en avant qui mène à l'échec. Je trouve que c'est une grande catastrophe en France d'ethniciser les problèmes. J'ai été profondément choqué par le clip du deuxième tour de Sarkozy où il disait clairement que notre système social finalement dysfonctionne parce que nous avons accueilli trop d'étrangers. À la fois, je trouve que c'est “dégueulasse" de dire cela et c'est complètement idiot. On est assez grand pour avoir des problèmes par nous-mêmes, et ça n'a rien à voir avec l'ethnique mais beaucoup avec l'historique et le symbolique.
Comment avez-vous construit la partie de la guerre d'Algérie qui est assez tragique ?
Tragique parce que la guerre d'Algérie est tragique. En gros, c'est un roman de formation. Victorien Salagno, qui a 17 ans au départ, qui se retrouve au maquis en 1944, puis s'engage en 1946 en Indochine, où il part à l'aventure. Au début fasciné par la beauté des paysages et de la nature, il est vite rattrapé par la violence de la guerre d'Indochine. Quand il se retrouve en Algérie, c'est la chute, un atterrissage tragique. C'est vraiment une image d'envol, d'apogée dans les paysages d'Indochine, puis la chute en Algérie. Une guerre impossible. Il se retrouve dans une situation inextricable parce que la situation coloniale est inextricable.
Vous évoquez la torture avec beaucoup de pudeur. Pourquoi ?
L'obstacle serait l'usurpation de souffrance, c'est-à-dire de faire croire que je souffre autant que ceux qui l'ont subie, c'est de l'ordre de la politesse au sens métaphysique du terme. Ce n'est pas bien de faire semblant qu'on a souffert pareil que les autres. Il fallait que je sois précautionneux. Et je voulais aussi éviter l'espèce de perversion de décrire quelque chose qu'on veut dénoncer. Le lecteur sait de quoi on parle parce qu'on a des images. Mon but était d'essayer de comprendre les effets et le sens de cette torture comme technique. La torture a été le résultat de tout un ensemble : la colonie. Le pire qu'on ait fait est d'avoir défendu un système injuste qui a engendré la torture.
Salagno est un exemple de traumatisme qui est plutôt bien digéré, mais il y a aussi son ami Mariani qui craque totalement...
Salagno est peintre, il a un côté contemplatif, mais Mariani, lui, il craque. Il devient un obsessionnel de la race, de la trahison, de l'étranger. Il y a quelque chose qui se casse en lui, qui le rend maniaque. Il est détruit psychiquement parce qu'il a vu ce qu'il a fait et qu'il rapporte cela et le répand en France. Il y a quelque chose de malsain dans toute cette idéologie raciale qui n'existait pas avant les guerres coloniales. Elle empêche plein de choses, notamment l'avenir parce que cela entretient une image d'une France pure qui n'a jamais existé. Il y a un vrai traumatisme. Mauriac, en 1954/55, avait dit à propos de la torture au début du traitement “des évènements d'Algérie", qu'il ne faut pas laisser torturer parce que c'est quelque chose qui va nous détruire. Je pense qu'on vit encore les effets de ce traumatisme-là. C'est toujours un peu étrange de dire que le bourreau est traumatisé mais c'est quelque chose qui pèse sur l'imaginaire français, avec toujours cette impossibilité de raconter cette guerre, puisqu'on ne sait pas bien comment faire. Il y a la version nostalgique (extrême droite) et version coupable (version de gauche), mais ces deux versions ne correspondent pas à la réalité. La réalité, on n'arrive pas à la dire.
Au bout de 634 pages, êtes-vous parvenu à la conclusion de ce que c'est qu'être Français ?
ll J'étais persuadé de vivre dans un pays paisible, mais je vis dans un pays qui est assez violent. Une violence qui s'exprime différemment. Il y a un art français de la violence collective qui fait que des problèmes restent irrésolus. Une part considérable de la population française qui vient d'ailleurs, ce qui rend absurdes les discours et les idées de souche. Et puis maintenant, il y a cette obsession de la religion. J'ai l'impression qu'il y a un accord entre les extrémistes de l'identité et ceux de la religion, pour rendre les choses impossibles. Je dirais que c'est presque la victoire de l'idéologie du Front national selon laquelle la religion est la chose la plus importante. On vit dans un monde avec plein d'images et de représentations un peu tordues. Et la littérature, elle joue justement sur la représentation. C'est vraiment le lieu d'application de la littérature. La littérature, les littérateurs peuvent fournir des images pour voir le monde autrement parce que finalement, on voit toujours le monde à travers des représentations.
S. K.


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