Après le film de Benoît Magimel, l'Ami Intime, c'est au tour d'Eric Michel de sortir son premier roman ce 4 octobre. Parisien, petit-fils d'un Kabyle, Eric Michel est un ancien prof de français. «J'ai fait beaucoup de boulots dans ma vie, me dit-il, avant de me consacrer à l'écriture et au cinéma.» Son premier roman Algérie ! Algérie ! est une vraie saga, et à la veille de la commémoration des massacres du 17 Octobre 1961, son roman est une vraie fresque qui permet de tenter de décrypter certaines absurdités de l'histoire. Avec une grande modestie, il répond à nos questions. Après le film de Benoît Magimel, l'Ami Intime, c'est au tour d'Eric Michel de sortir son premier roman ce 4 octobre. Parisien, petit-fils d'un Kabyle, Eric Michel est un ancien prof de français. «J'ai fait beaucoup de boulots dans ma vie, me dit-il, avant de me consacrer à l'écriture et au cinéma.» Son premier roman Algérie ! Algérie ! est une vraie saga, et à la veille de la commémoration des massacres du 17 Octobre 1961, son roman est une vraie fresque qui permet de tenter de décrypter certaines absurdités de l'histoire. Avec une grande modestie, il répond à nos questions. Le Midi Libre : Pourquoi l'écriture et pourquoi spécialement l'Algérie ? Le roman, comme toute autre forme d'expression artistique, n'échappe pas à la question du point de vue. Il ne peut être dégagé de tout débat contextuel et garanti, en général, de l'intrusion historique. En un mot, le roman doit avoir le souci du monde. Pour la première fois, un roman français raconte la Guerre d'Algérie du point de vue des Algériens, donc du FLN : c'est la première originalité de Algérie ! Algérie ! Il y a plusieurs raisons à ces choix. Dire que les gouvernements français ont entretenu un rapport ambigu à leur passé et à la mémoire historique serait un euphémisme. Dire que la République, par exemple, n'était pas à Vichy mais à Londres, de 1940 à 1944 relève sinon du scandale et du mensonge, du moins de la myopie… La résistance était à Londres, et les institutions dans la célèbre ville d'eau. Une myopie entretenue, car l'on veut aujourd'hui mettre les compteurs à zéro et la balle au centre avant même la reconnaissance des crimes commis. C'est un peu un problème similaire qu'on rencontre à l'évocation de la Guerre d'Algérie. Il me semblait qu'il était plus que temps de faire ce « devoir de mémoire » dont il est si souvent question, lequel n'est rien sans la parole. Pas de choix sans liberté de choix. Pas de construction de «sa propre mémoire» pour les jeunes générations sans connaissance des faits. Pensez-vous que ces jeunes de cités souffrent de ce devoir de mémoire ? Oui, le «devoir de mémoire» est une manière de s'inscrire dans la vie de la cité, de créer du lien dans une communauté. La «repentance» pour les crimes dont il sera question ? Peut-être… Pourquoi pas ? Le passé n'est dangereux qu'à la mesure de son refoulement. Algérie! Algérie! est psychologiquement très dur à lire… Les mots le sont toujours moins que la guerre et il n'est pas un livre vengeur. Loin de là. Pour autant, il ne renvoie pas tous et chacun dos à dos et s'interroge, d'abord c'est vrai, sur les responsabilités de la France dans l'engrenage de cette guerre. Guerre dont le peuple, au travers d'une large représentativité, ne voulait pas, en témoignent les réticences des rappelés. Quant aux personnages qui se confrontent dans le roman, ils sont loin d'être toujours d'accord sur les moyens. Benoît Magimel disait à juste titre sur Canal + que le travail historique, globalement, était fait. Je suis arrivé aux mêmes conclusions. «Algérie ! Algérie !» voudrait contribuer, tout simplement, à ce que la lumière soit faite sur la Guerre d'Algérie. Le point de départ de mon travail fut autrefois de me demander pourquoi l'on n'en tirait pas, à de rares exceptions, les conséquences dans le domaine de l'art, de la fiction, que cela soit au cinéma ou en littérature. Maintenant que j'ai fini d'écrire Algérie! Algérie!, je comprends mieux cette difficulté. Elle n'est pas principalement due au fait que la Guerre d'Algérie était une guerre sans images. Une chape de plomb pèse encore sur nous, peuple français, sur nous, artistes au sens large, peut-être parce que nous savons que cette « guerre sans nom » s'est faite salement. Pensez-vous que c'est vraiment le moment de briser tous les tabous qui hantent cette guerre… Une guerre de violence attribuée aux seuls Algériens ? Oui, quarante-cinq ans après sa fin, il nous faut sortir de la honte, de la rancœur, du ressentiment, en un mot de l'impasse. Le public semble prêt. Il attend d'entendre un autre «son de cloche», il veut une voix qui lui raconte différemment la Guerre d'Algérie, dont on ne lui a rien dit à l'école de la République. Bien sûr, on va me dire que l'horreur était partout, dans tous les camps. Et c'est vrai. Qui, mieux que Camus, a dénoncé en son temps les violences, d'où qu'elles viennent — pensons à son engagement de journaliste et à la dénonciation des misères de Kabylie ? Qui, plus que lui, était épris de paix ? Mais comme il se trouve qu'on s'est beaucoup étendu sur la violence des Algériens, c'était aussi un devoir d'honnêteté et de vérité historique de revenir précisément sur les origines de ces violences, et sur la part de la France dans celles-ci. Aussi, le roman interroge-t-il sur un certain nombre de problèmes, notamment un qui revient en force depuis le scandale contemporain d'Abou Ghraïb : la torture. Un pays peut-il encore être qualifié de républicain lorsque son gouvernement autorise la pratique légale de la torture, comme ce fut le cas à partir de 1955, au prétexte de l'urgence militaire ? Est-on d'ailleurs vraiment sûr que la «question», comme on le disait, était efficace ? Et que dire de la démission de ces hommes, Français occupant des postes de haut niveau dans l'Etat, à cause de la torture, tel que ce fut le cas pour Jean Meirey, le directeur de la Sûreté nationale, de Paul Teitgen, le secrétaire général de la police à Alger, ou encore du général Pâris de la Bollardière ? Ce n'était pourtant pas là des excités en politique… Non. La torture, l'horreur par définition, ne pouvait que creuser le fossé entre les hommes et, d'ailleurs, si la France gagna militairement, elle perdit politiquement comme on le sait. D'autres, comme certains tortionnaires dans l'armée, s'en vantaient parfois, avaient connu aussi les camps nazis. Ils en tiraient des conclusions radicalement opposées. Ils étaient farouchement anticolonialistes. Ils pensaient avec Sartre qu'il n'y a pas de bon ou de mauvais colon, mais des colons, c'est tout. S'agit-il de ces quelques milliers d'hommes et de femmes qu'on a appelés « les porteurs de valises » ? Oui et il fallait les mettre en scène pour mieux éclairer les répercussions de la guerre en métropole. Il fallait que ces hommes et ces femmes jouent leur rôle dans un roman, ne serait-ce que pour mieux entrer dans l'intelligence de leur combat. Il me semblait qu'il fallait rappeler les raisons de leur engagement aux côtés du FLN. Il me semblait qu'il fallait oser dire qu'ils cherchaient à limiter les violences et conserver, quand la guerre serait finie, un lien d'amitié fort entre Algériens et Français. Pourquoi les porteurs de valises ne deviendraient-ils pas des héros de roman ? Il fallait que les multiples intrigues qui jalonnent le roman convergent vers les massacres du 17 Octobre 61, à Paris. Car les massacres d'Octobre 61 ont toujours été à mes yeux le pic tragique, symboliquement, de l'état des relations franco-algériennes pendant la guerre. Massacres dans lesquels les «harkis» — dont il faut rappeler que ce nom désignait une fonction de police et en aucun cas une ethnie ou un peuple — massacres dans lesquels le préfet Maurice Papon, massacres dans lesquels la police parisienne a de rares exceptions, jouèrent un rôle infâme. Le 17 Octobre 61 n'était pas un événement dû au hasard, mais bien une purge programmée par le préfet de police Papon, qui couvrait les crimes de ses subordonnées depuis des mois, autant qu'il était lui-même couvert par sa hiérarchie... On sait qu'il finira un jour ministre et enterré, un 17, avec sa légion d'honneur. Cette année… Pas de hasard, donc, mais bien un «pogrom», comme l'ont écrit Pierre Vidal-Naquet, Jean-Paul Sartre, Benjamin Stora ou bien encore Jean Lacouture en se réappropriant le sens originel du terme. Et cette histoire d'amour de Nedjma et de Léo ? Elle ne tient pas de la « recette littéraire », elle n'occupe pas une place dans le roman pour mettre de façon artificielle un peu de «sentiment dans tout ça» ou bien encore du «piment». La Guerre d'Algérie résonne profondément sur la psychologie des personnages. Nedjma et Léo. Léo, le Français d'origine juive, l'intellectuel, le partisan théorique de l'indépendance confronté à ses démons et à la peur. Nedjma, la Franco-algérienne, la femme de tête, la déracinée, la femme prête à aller au bout de ses choix, quoi qu'il en coûte. Ils s'aiment. Ils se heurtent. Ils se déchirent aussi comme Amar, le père de Nedjma, et son frère. Car la question que l'amour de Nedjma et Léo pose est aussi l'une des grandes questions du roman. Surplombés par une force qui les dépasse, l'amour de Léo et Nedjma, après 130 années de violences, serait-il le fruit d'une impossibilité ? Ces questions, le roman les pose. À certaines, il répond. D'autres restent en suspens, car Algérie ! Algérie ! ouvre, avant toute chose, les portes d'une réflexion que le lecteur, dans son plaisir et sa liberté, pourra poursuivre lui-même. Algérie ! Algérie ! Presse de la renaissance 24 € 2007-10-04 Le Midi Libre : Pourquoi l'écriture et pourquoi spécialement l'Algérie ? Le roman, comme toute autre forme d'expression artistique, n'échappe pas à la question du point de vue. Il ne peut être dégagé de tout débat contextuel et garanti, en général, de l'intrusion historique. En un mot, le roman doit avoir le souci du monde. Pour la première fois, un roman français raconte la Guerre d'Algérie du point de vue des Algériens, donc du FLN : c'est la première originalité de Algérie ! Algérie ! Il y a plusieurs raisons à ces choix. Dire que les gouvernements français ont entretenu un rapport ambigu à leur passé et à la mémoire historique serait un euphémisme. Dire que la République, par exemple, n'était pas à Vichy mais à Londres, de 1940 à 1944 relève sinon du scandale et du mensonge, du moins de la myopie… La résistance était à Londres, et les institutions dans la célèbre ville d'eau. Une myopie entretenue, car l'on veut aujourd'hui mettre les compteurs à zéro et la balle au centre avant même la reconnaissance des crimes commis. C'est un peu un problème similaire qu'on rencontre à l'évocation de la Guerre d'Algérie. Il me semblait qu'il était plus que temps de faire ce « devoir de mémoire » dont il est si souvent question, lequel n'est rien sans la parole. Pas de choix sans liberté de choix. Pas de construction de «sa propre mémoire» pour les jeunes générations sans connaissance des faits. Pensez-vous que ces jeunes de cités souffrent de ce devoir de mémoire ? Oui, le «devoir de mémoire» est une manière de s'inscrire dans la vie de la cité, de créer du lien dans une communauté. La «repentance» pour les crimes dont il sera question ? Peut-être… Pourquoi pas ? Le passé n'est dangereux qu'à la mesure de son refoulement. Algérie! Algérie! est psychologiquement très dur à lire… Les mots le sont toujours moins que la guerre et il n'est pas un livre vengeur. Loin de là. Pour autant, il ne renvoie pas tous et chacun dos à dos et s'interroge, d'abord c'est vrai, sur les responsabilités de la France dans l'engrenage de cette guerre. Guerre dont le peuple, au travers d'une large représentativité, ne voulait pas, en témoignent les réticences des rappelés. Quant aux personnages qui se confrontent dans le roman, ils sont loin d'être toujours d'accord sur les moyens. Benoît Magimel disait à juste titre sur Canal + que le travail historique, globalement, était fait. Je suis arrivé aux mêmes conclusions. «Algérie ! Algérie !» voudrait contribuer, tout simplement, à ce que la lumière soit faite sur la Guerre d'Algérie. Le point de départ de mon travail fut autrefois de me demander pourquoi l'on n'en tirait pas, à de rares exceptions, les conséquences dans le domaine de l'art, de la fiction, que cela soit au cinéma ou en littérature. Maintenant que j'ai fini d'écrire Algérie! Algérie!, je comprends mieux cette difficulté. Elle n'est pas principalement due au fait que la Guerre d'Algérie était une guerre sans images. Une chape de plomb pèse encore sur nous, peuple français, sur nous, artistes au sens large, peut-être parce que nous savons que cette « guerre sans nom » s'est faite salement. Pensez-vous que c'est vraiment le moment de briser tous les tabous qui hantent cette guerre… Une guerre de violence attribuée aux seuls Algériens ? Oui, quarante-cinq ans après sa fin, il nous faut sortir de la honte, de la rancœur, du ressentiment, en un mot de l'impasse. Le public semble prêt. Il attend d'entendre un autre «son de cloche», il veut une voix qui lui raconte différemment la Guerre d'Algérie, dont on ne lui a rien dit à l'école de la République. Bien sûr, on va me dire que l'horreur était partout, dans tous les camps. Et c'est vrai. Qui, mieux que Camus, a dénoncé en son temps les violences, d'où qu'elles viennent — pensons à son engagement de journaliste et à la dénonciation des misères de Kabylie ? Qui, plus que lui, était épris de paix ? Mais comme il se trouve qu'on s'est beaucoup étendu sur la violence des Algériens, c'était aussi un devoir d'honnêteté et de vérité historique de revenir précisément sur les origines de ces violences, et sur la part de la France dans celles-ci. Aussi, le roman interroge-t-il sur un certain nombre de problèmes, notamment un qui revient en force depuis le scandale contemporain d'Abou Ghraïb : la torture. Un pays peut-il encore être qualifié de républicain lorsque son gouvernement autorise la pratique légale de la torture, comme ce fut le cas à partir de 1955, au prétexte de l'urgence militaire ? Est-on d'ailleurs vraiment sûr que la «question», comme on le disait, était efficace ? Et que dire de la démission de ces hommes, Français occupant des postes de haut niveau dans l'Etat, à cause de la torture, tel que ce fut le cas pour Jean Meirey, le directeur de la Sûreté nationale, de Paul Teitgen, le secrétaire général de la police à Alger, ou encore du général Pâris de la Bollardière ? Ce n'était pourtant pas là des excités en politique… Non. La torture, l'horreur par définition, ne pouvait que creuser le fossé entre les hommes et, d'ailleurs, si la France gagna militairement, elle perdit politiquement comme on le sait. D'autres, comme certains tortionnaires dans l'armée, s'en vantaient parfois, avaient connu aussi les camps nazis. Ils en tiraient des conclusions radicalement opposées. Ils étaient farouchement anticolonialistes. Ils pensaient avec Sartre qu'il n'y a pas de bon ou de mauvais colon, mais des colons, c'est tout. S'agit-il de ces quelques milliers d'hommes et de femmes qu'on a appelés « les porteurs de valises » ? Oui et il fallait les mettre en scène pour mieux éclairer les répercussions de la guerre en métropole. Il fallait que ces hommes et ces femmes jouent leur rôle dans un roman, ne serait-ce que pour mieux entrer dans l'intelligence de leur combat. Il me semblait qu'il fallait rappeler les raisons de leur engagement aux côtés du FLN. Il me semblait qu'il fallait oser dire qu'ils cherchaient à limiter les violences et conserver, quand la guerre serait finie, un lien d'amitié fort entre Algériens et Français. Pourquoi les porteurs de valises ne deviendraient-ils pas des héros de roman ? Il fallait que les multiples intrigues qui jalonnent le roman convergent vers les massacres du 17 Octobre 61, à Paris. Car les massacres d'Octobre 61 ont toujours été à mes yeux le pic tragique, symboliquement, de l'état des relations franco-algériennes pendant la guerre. Massacres dans lesquels les «harkis» — dont il faut rappeler que ce nom désignait une fonction de police et en aucun cas une ethnie ou un peuple — massacres dans lesquels le préfet Maurice Papon, massacres dans lesquels la police parisienne a de rares exceptions, jouèrent un rôle infâme. Le 17 Octobre 61 n'était pas un événement dû au hasard, mais bien une purge programmée par le préfet de police Papon, qui couvrait les crimes de ses subordonnées depuis des mois, autant qu'il était lui-même couvert par sa hiérarchie... On sait qu'il finira un jour ministre et enterré, un 17, avec sa légion d'honneur. Cette année… Pas de hasard, donc, mais bien un «pogrom», comme l'ont écrit Pierre Vidal-Naquet, Jean-Paul Sartre, Benjamin Stora ou bien encore Jean Lacouture en se réappropriant le sens originel du terme. Et cette histoire d'amour de Nedjma et de Léo ? Elle ne tient pas de la « recette littéraire », elle n'occupe pas une place dans le roman pour mettre de façon artificielle un peu de «sentiment dans tout ça» ou bien encore du «piment». La Guerre d'Algérie résonne profondément sur la psychologie des personnages. Nedjma et Léo. Léo, le Français d'origine juive, l'intellectuel, le partisan théorique de l'indépendance confronté à ses démons et à la peur. Nedjma, la Franco-algérienne, la femme de tête, la déracinée, la femme prête à aller au bout de ses choix, quoi qu'il en coûte. Ils s'aiment. Ils se heurtent. Ils se déchirent aussi comme Amar, le père de Nedjma, et son frère. Car la question que l'amour de Nedjma et Léo pose est aussi l'une des grandes questions du roman. Surplombés par une force qui les dépasse, l'amour de Léo et Nedjma, après 130 années de violences, serait-il le fruit d'une impossibilité ? Ces questions, le roman les pose. À certaines, il répond. D'autres restent en suspens, car Algérie ! Algérie ! ouvre, avant toute chose, les portes d'une réflexion que le lecteur, dans son plaisir et sa liberté, pourra poursuivre lui-même. Algérie ! Algérie ! Presse de la renaissance 24 € 2007-10-04