Mohamed Morsi s'installe aujourd'hui dans le fauteuil présidentiel, mais l'armée a pris soin d'en scier les pieds, vidant la fonction de la plupart de ses attributions. L'islamiste Morsi Mohamed, président élu égyptien, doit prêter serment aujourd'hui devant la Haute Cour constitutionnelle. Vendredi soir, il poursuivait ses consultations en vue de former un gouvernement de coalition dirigé, selon ses propres termes, de préférence par un “indépendant". D'ores et déjà, il a le nom de son ministre de la Défense : le maréchal Hussein Tantaoui. Le chef du Conseil suprême des forces armées (CSFA), qui a dirigé le pays depuis la chute de Moubarak, conserve son poste dans le nouveau gouvernement égyptien que formera le président élu Mohamed Morsi, a déclaré le porte-parole du CSFA, le général Mohamed Assar, précisant pour ceux qui ne l'auront pas compris : le maréchal, ministre de la Défense pendant deux décennies sous la présidence de Hosni Moubarak puis après février 2011, lorsque celui-ci est tombé, reste également chef du Conseil suprême des forces armées et commandant des forces armées. Ces mises au point de la part des 19 généraux qui tiennent l'Egypte alors même que Mohamed Morsi n'avait pas encore été investi dans ses fonctions, illustrent les limites que les militaires entendent poser aux prérogatives du futur chef de l'Etat, premier président civil élu en Egypte depuis la fin de la monarchie en 1952. Quant à l'assurance du porte-parole militaire du CSFA que Mohamed Morsi serait “le chef de l'Etat avec les pleins pouvoirs", il faut la prendre comme elle est : de la pure propagande pour ses électeurs, les activistes et sympathisants de la confrérie des Frères musulmans et en direction également des salafistes en expansion depuis le printemps du Nil. Avant que le verdict de la commission électorale donnant Morsi gagnant face au candidat des généraux, lequel s'est exilé à Qatar au lieu de contribuer à la construction d'une opposition crédible contre les islamistes, l'armée a pris ses devants en dépouillant le président de l'Egypte post-Moubarak de toutes les prérogatives de pouvoir. La Haute Cour constitutionnelle, le 14 juin, avait dissous le Parlement dominé par les islamistes et élu l'hiver dernier en le déclarant “non conforme la loi électorale". Aujourd'hui, ce sont les militaires du CSFA qui assument le pouvoir législatif jusqu'à l'élection d'une nouvelle Assemblée. Le CSFA, qui va rédiger la Constitution, avait également nommé un nouveau Conseil de défense nationale chargé des politiques étrangère et de défense. Morsi a adressé des messages d'assurances à l'ensemble de la population égyptienne et aux partenaires étrangers de l'Egypte. Il a rencontré des familles des martyrs parmi lesquelles Mme Leila Marzouk, mère de Khaled Saïd, un jeune Egyptien battu à mort le 6 juin 2010 à Alexandrie par des policiers pendant sa garde à vue et qui est devenu un symbole de la répression policière et de la révolte, ces familles lui ont demandé de rejuger les responsables de la répression de la révolte de janvier-février 2011, il reçu des délégations d'Al-Azhar, la plus haute autorité islamique d'Egypte et de l'Eglise copte orthodoxe. De nombreux membres de la communauté chrétienne, qui représente 10 à 15% de la population égyptienne, ont exprimé leur inquiétude après l'arrivée au pouvoir d'un islamiste, craignant davantage de discrimination. Face à une armée qui a conservé les manettes de l'autorité politique, quelle sera la marge de manœuvre de ce président ? Les généraux ont le doigt sur tous les boutons et ce “raïs" même si sa confrérie des Frères musulmans et les salafistes ont le pouvoir de mobiliser des centaines de milliers de personnes dans la rue, a compris qu'il devait se convertir à la realpolitik pour garder son fauteuil. Réussira-t-il dans sa carte du rassemblement et de “sauveur de la révolution" ? Pas certain, lorsque l'on sait que chez les islamistes, “harb hila". Mohamed Morsi a promis d'associer les partis libéraux et laïcs à l'exercice du pouvoir, de ne pas obliger les femmes à porter le voile, de garantir les droits de la minorité chrétienne, n'avait-il pas aussi juré de “ne rien négocier dans l'ombre avec les généraux" ? Il sait au moins qu'il doit respecter les traités internationaux conclus par l'Egypte, y compris celui signé avec Israël en 1979. Les thouars, protagonistes et acteurs du Printemps du Caire se méfient, pour leur part, du leader des Frères, après six décennies sous la botte de généraux, ils craignent désormais de tomber sous l'emprise des cheikhs. Ils sont d'autant plus méfiants que la Maison-Blanche d'Obama a chaleureusement félicité le président Frère musulman pour l'étape importante qu'il va faire franchir à l'Egypte dans la transition vers la démocratie (!), n'omettant pas de lui rappeler qu'il est essentiel qu'il continue de faire remplir à l'Egypte le rôle de pilier de la paix, de la sécurité et de la stabilité dans la région. No comment. L'homme d'affaires multimillionnaire, Khairat El-Shater, celui qui a permis la victoire de Morsi parce que sa candidature avait été rejetée par les militaires, a, d'ores et déjà, renvoyé le message attendu par Washington et le Pentagone, via le Wall Street Journal. Figure charismatique de la confrérie des Frères, Shater a déclaré clairement que “la priorité des Frères musulmans était un partenariat stratégique étroit avec les Etats-Unis". No comment également. D. B