Une relation d'égal à égal certes, mais une relation qu'il faut tout de même entretenir et renforcer. Ce sont-là les conclusions des intervenants à la table ronde organisée jeudi à l'Institut Cervantes. À l'occasion du XXe anniversaire de la création de l'Institut Cervantes d'Alger, une table ronde a été organisée, jeudi matin, au siège de l'Institut, portant sur les relations culturelles entre l'Algérie et l'Espagne. Elle a été animée par les universitaires Ahmed Berraghda, vice-recteur de l'université d'Alger, Luis Bernabé Pons, professeur d'études arabes et islamiques à l'université d'Alicante, et Rafael Bustos, spécialiste en relations internationales. Tous trois ont relevé que même si la Méditerranée nous sépare, l'histoire nous rapproche. Ahmed Berraghda a évoqué justement trois figures emblématiques dans l'imaginaire algérien : Miguel de Cervantes, Ibn Khaldun et Ibn Arabi, qui sont nés en Espagne. Il a également rendu hommage à deux universitaires espagnoles disparus : Miquel Del Ponsa et Marcelino Villegas, qui ont exercé en Algérie bien avant l'existence de l'Institut Cervantes. Luis Bernabé Pons a entamé sa communication par une anecdote : “Lorsque j'ai dit à un des plus grands spécialistes de Cervantes aux Etats-Unis d'Amérique que la grotte de Cervantes se trouve en Algérie, il était étonné. Il ne connaissait même pas l'existence de cette grotte !" Et de considérer : “Il faut entretenir cette histoire, une histoire d'égal à égal." De son côté, Rafael Bustos s'est intéressé à la vie et à l'œuvre d'Emmanuel Roblès, natif d'Oran. Lui aussi a commencé par une anecdote pour mettre en relief la méconnaissance qui entoure l'œuvre de cet auteur : “J'ai appelé l'ambassade d'Algérie à Madrid pour leur demander s'ils connaissaient Emmanuel Roblès, et ils ont dit que non." Ayant des origines espagnoles, Emmanuel Roblès a été considéré par M. Bustos comme “une figure universelle à réhabiliter." L'intervenant fera un parallèle entre la vie et le parcours de Roblès avec celui d'Albert Camus (leurs mères sont toutes deux d'origine espagnole, ils ont perdu leurs pères à un âge précoce, ils viennent d'un milieu très pauvre, le thème de la guerre civile espagnole les a beaucoup inspirés). La problématique de la traduction D'après lui, le côté espagnol d'Emmanuel Roblès (un des premiers traducteurs de Garcia Lorca), apparaît dans son écriture, notamment “dans la dimension tragique du drame et une relation à la mort très espagnole. Nous ne devrions pas exclure Roblès de la littérature espagnole." M. Berraghda signalera à ce propos que dans les milieux universitaires algériens (les départements de langues étrangères), Emmanuel Roblès est bien connu, ce qui l'est moins pour le cas de Jean Sénac. Luis Bernabé Pons saisira cette opportunité d'évocation de Roblès pour évoquer la problématique de la traduction, véritable maillon faible dans les relations culturelles entre les deux pays : “J'ai été effaré d'apprendre que Don Quichotte n'avait pas été traduit vers l'arabe. Il y a aussi un des meilleurs livres sur l'Algérie, intitulé la Topographie de l'histoire générale de l'Algérie, écrit par un espagnol qui a côtoyé Cervantès en prison, qui n'a été traduit ni vers l'arabe ni vers le français." Il estimera également qu' “un champ énorme s'ouvre à nous dans le cadre de la collaboration, dans le domaine de la traduction. On traduit les auteurs algériens mais ceci est limité à la sphère universitaire." Yasmina Khadra est tout de même l'auteur algérien le plus lu en Espagne, mais la visibilité de la littérature algérienne est très minime. “Yasmina Khadra, Malika Mokeddem, Assia Djebar sont traduits en espagnol. On suit le mouvement de ce qui marche en France et on le traduit", expliquera Rafael Bustos. Et M. Pons de faire remarquer : “Il y aussi des auteurs qui sont publiés sans que l'on passe par le marché français, mais ça reste ridicule du point de vue de quantité éditoriale." Les intervenants relèveront, par ailleurs, que dans le domaine de la musique par exemple, les choses sont beaucoup moins compliquées et qu'il y a une “expérimentation fortement intéressante". Les universitaires se sont également accordés à dire que la coopération culturelle entre les deux pays mérite d'être creusée davantage, en insistant sur “les ponts à bâtir", en évacuant “les stéréotypes et les préjugés." S K