Chaque fois que j'entends “Mascara", je pense à Kaddour Bousselham et à Belloumi. Belloumib toute l'Algérie le connaît. J'y reviendrai bientôt avec un portrait. Mais Kaddour Bousselham, hein, qui le connaît ? Une poignée de ses pairs journalistes qui n'ont pas la mémoire courte, quelques lecteurs et ses amis et sa famille de sa région natale, Hacine, tout près de Mascara. Il avait la gouaille d'un enfant du peuple et le rire communicatif qu'il bâillonnait chaque fois pour masquer sa bouche ébréchée. Justement ces quelques dents en moins lui donnaient un plus, un air cocasse et coquin. Je l'ai connu au journal Horizons. Il était alors notre correspondant à Mascara. Il m'aimait beaucoup et je le taquinais beaucoup. Il m'aimait à cause de ma biographie sur son idole Belloumi ; je le taquinais beaucoup, car il avait la jovialité et la bonhommie des gens vrais, ceux de l'intérieur que la grande ville n'a pas encore pervertis. À chaque rencontre, on avait donc Belloumi au menu : ses malheurs, ses bonheurs, ses exploits et son statut de pourvoyeur de bonheur de toute une ville. À sa manière, lui aussi était un Belloumi de l'amitié et de la pudeur. Même s'il était issu d'une famille si démunie qu'il a dû interrompre très tôt ses études et que toute sa vie n'a été qu'un combat contre le sort, il ne s'est jamais plaint, jamais apitoyé sur lui-même. Tout au contraire. Dame, il avait un sourire éternel sur les lèvres. Il avait cette rare élégance de présenter à autrui son meilleure visage. Je n'ai jamais su qu'il avait été tour à tour facteur et garde communal avant d'être journaliste. Comment le savoir ? Je pensais qu'il était né journaliste parce qu'il ne respirait que le journalisme. Bien sûr, ce n'était pas ce qu'on appelle spécialement une grande plume, il était d'un grade plus élevé : plume du cœur. Kaddour, cet homme aux yeux toujours souriants, m'apportait avec lui l'authenticité du terroir. J'aimais le humer, j'aimais l'écouter me raconter de truculentes histoires mascaréennes. Il ne s'est jamais pris au sérieux même s'il faisait son travail, l'ingrat travail de correspondant local, avec sérieux. Et puis dans la nuit du 29 au 30 octobre, la nouvelle vint à la rédaction : Kaddour a été kidnappé par un groupe de terroristes alors qu'il s'abritait, à cause d'un séisme, sous une tente dans un jardin public de la commune de Hacine. Un pauvre diable. On ne le verra plus. On apprendra plus tard qu'il a été assassiné. Ils ont bien visé les terroristes. Ils ont pris un homme propre, un journaliste intègre, un chic type, un bon père de 5 enfants qui n'a jamais fait de mal à une mouche. Un innocent dont le jardin public porte le nom. Le jardin de Kaddour, lui qui n'avait même pas une baraque... H. G. ([email protected])