Chassez le naturel, il revient au galop. Après ses discours mielleux et qui se voulaient consensuels, le président frère musulman d'Egypte a fini par faire tomber son masque. Frère musulman, il le reste et après l'euphorie de sa victoire, voici qu'il essaye d'imposer la vision du monde de sa confrérie, entrant en conflit direct avec l'armée et le nouveau président s'est également mis à dos l'appareil judiciaire. La justice égyptienne a rejeté sa décision de rétablir le Parlement, augurant d'une épreuve de force avec celle-ci, qui détient de fait les clefs du pouvoir. Pour l'instant, les 19 généraux du Conseil suprême supérieur de l'armée se contentent de l'appeler au respect de la loi. “Les jugements et l'ensemble des décisions de la Haute-Cour constitutionnelle sont définitifs (...) et sont contraignants pour toutes les institutions de l'Etat", avait par ailleurs averti la Cour constitutionnelle, qui avait jugé le Parlement invalide le 14 juin en raison d'un vice juridique dans la loi électorale. L'armée, en réunion d'urgence depuis la “révolte" de Morsi n'arrête pas de souligner l'importance de la souveraineté de la loi et de la Constitution, en se disant confiante que toutes les institutions de l'Etat respecteront ce qui a été dit dans les déclarations constitutionnelles. Plus d'une semaine après que le CSFA lui eut remis le pouvoir exécutif, Mohammed Morsi a ordonné dimanche par décret l'annulation de la décision de la Cour constitutionnelle, en invitant l'Assemblée, où les islamistes disposent d'une majorité écrasante, à se réunir de nouveau et à exercer ses prérogatives. La décision du nouveau raïs, premier président islamiste et civil d'Egypte laisse en effet présager une épreuve de force avec le CSFA, qui, souligne-t-on, s'était attribué le pouvoir législatif après l'arrêt de la Haute-Cour. L'armée a également rendu public un décret prévoyant l'organisation d'élections anticipées pour la Chambre, 60 jours après l'approbation par référendum de la nouvelle Constitution du pays, et l'adoption d'une nouvelle loi régissant le Parlement. Les islamistes ne l'ont pas entendu de cette oreille : Saâd Al-Katatni, président de l'Assemblée du peuple, issu des Frères musulmans comme Mohammed Morsi, a convoqué une session pour hier et la confrérie a annoncé qu'elle manifesterait le même jour pour soutenir les décisions du président et le rétablissement du Parlement. Mais les islamistes devaient se retrouver seuls devant un Parlement bunkerisé par l'armée. Le bras de fer Morsi-Tantaoui ne présage rien de bon. Si l'aboutissement du processus électoral en Egypte a été accueilli comme un progrès significatif et une réalisation majeure du Printemps arabe, sur le fond cependant, l'arrivée au pouvoir du candidat des Frères musulmans inquiète le monde, y compris chez les pays arabes où tout de même, malgré les victoires électorales d'islamistes en Tunisie et au Maroc, on ne s'est pas résigné à la thèse laquelle le Printemps arabe ne peut déboucher que sur un “hiver islamiste". Ne voit-on pas la Libye tribaliste et conservatrice renvoyer ses islamistes à leur école dans un scrutin pourtant sur fond de violence ? Ceci pour dire qu'un islamiste reste un islamiste. Pour ce qui est de Morsi, après ses discours rassurants, son premier acte est de vouloir prendre tout le gâteau égyptien. “harb-hila", disent les islamistes pour justifier leurs retournements : l'un de ses premiers gestes aura été de démissionner de la confrérie et de son aile politique, le Parti de la liberté et de la justice, en gage d'ouverture, d'annoncer son intention de nommer deux vice-présidents, un copte et une femme, et de confier le gouvernement à un technocrate indépendant. Des premiers pas consensuels qu'il a superbement foulés. Il ne faut pas être naïf quant aux ambitions de la confrérie ou à sa vision du monde complètement différente de celle de la démocratie ouverte. D. B