Philippe Golub, citoyen américain, vit à Paris depuis plusieurs années. Spécialiste des Etats-Unis, il est professeur associé de relations internationales à l'Université Paris VIII et à Sciences Po Paris. Il collabore également au Monde diplomatique. Liberté : L'annonce de l'arrestation de Saddam Hussein est une excellente nouvelle pour George W. Bush… Philippe Golub : À la fois d'un point de vue de politique intérieure ou extérieure américaine comme d'un point de vue psychologique, l'arrestation de Saddam Hussein est une bonne nouvelle pour l'Administration américaine. Après plusieurs mois difficiles sur le terrain, ce qui vient de se produire leur redonnera l'occasion de permettre à l'équipe au pouvoir d'afficher certains résultats positifs. Ceci dit, il n'est pas du tout sûr que cela va changer la problématique fondamentale. Autrement dit : si, d'un côté, il est vrai que la capture va libérer certains, qui, en Irak, craignaient le retour au pouvoir du Baath, il reste qu'une partie importante de la population ne veut plus d'occupation étrangère de leur pays et voudrait régler le problème de la souveraineté de l'Irak. La question du transfert effectif de la souveraineté et de la gestion des affaires du pays par un gouvernement autonome, souverain et légitimement élu reste entière. Donc, il n'est pas du tout sûr que cette arrestation va contribuer à diminuer d'une façon substantielle l'intensité des opérations de guérilla dans le pays. Aux Etats-Unis, Saddam Hussein était-il réellement perçu par la population comme un véritable danger pour le pays, au même titre que Ben Laden ? Il y a une certaine confusion qui s'est installée au sein de la population américaine qui a lié Saddam Hussein aux événements du 11 septembre 2001. Des sondages réalisés, il y a quelques mois, montraient encore que 50% de la population voyaient un lien direct entre l'ancien régime irakien et le mouvement Al-Qaïda. Ce qui, tous les experts en conviennent, n'est pas le cas. Donc, Saddam Hussein était en effet perçu comme un vrai danger par une bonne partie de la population américaine. Mais depuis quelques mois, le coût financier et humain de l'occupation en Irak commençait à préoccuper la population. Et une majorité, certes faible mais importante (52%), se déclarait le mois dernier pessimiste quant à l'évolution de l'occupation en Irak et sur la gestion de ce dossier par l'équipe Bush. Donc, il est vrai que, d'un point de vue de politique interne, la capture de Saddam Hussein va redorer le blason du président et du Pentagone. Mais les élections ne se tiennent que dans un an. Et rien n'est encore définitif. On verra comment la situation en Irak va évoluer dans les mois à venir. Justement, comment la politique américaine en Irak va-t-elle évoluer après cette arrestation ? Les choses ne sont pas faciles. D'un côté, les Etats-Unis ne peuvent pas se retirer trop vite parce qu'une telle décision serait catastrophique pour l'image de l'Amérique dans le monde. Tous les responsables américains en sont conscients. D'un autre côté, rester trop longtemps dans les circonstances actuelles revient à assumer des coûts exorbitants, à la fois sur le plan humain et financier. Les Américains sont aujourd'hui entre deux temporalités différentes. Une temporalité courte, celle de la gestion de la guerre sur le court terme, et un problème de long terme : aider à bâtir en Irak une société démocratique. Ce qui risque de prendre quelques années. Entre ces deux temporalités, la Maison-Blanche hésite pour des raisons de politique interne. Parce que les conseillers de Bush savent que la question irakienne peut constituer un vrai boulet pour le président sortant pour les élections de 2004. Aujourd'hui, la question fondamentale est de savoir si la transformation démocratique d'une région peut être obtenue par la force des armes. La plupart des spécialistes que je connais ne le croient pas. Et je partage leur avis. Pour réaliser ce genre d'objectifs, il faudrait mettre en place des programmes de longue haleine, soutenus par des efforts très importants de transferts de ressources et de technologies que, pour l'instant, les Américains ne sont pas prêts à consentir. La capture de Saddam Hussein aura-t-elle des conséquences sur la stratégie du “camp de la paix”, notamment la France ? En Europe, personne n'a jamais dit que le régime de Saddam Hussein n'était pas une dictature féroce et sanguinaire. Mais les divisions intra-occidentales sur la question en Irak restent d'actualité. Elles reflètent des divergences de fonds entre la droite nationaliste américaine, représentée par l'Administration Bush, et des pays européens qui estiment que le système international doit être géré à travers des organisations multilatérales. Dans ce contexte, les problèmes de fond entre les deux parties vont rester. L. G.