Liberté : Trois ans après les attentats du 11 septembre, quel est l'état d'esprit des Américains ? Philippe Golub : L'état d'esprit des Américains a beaucoup évolué en trois ans. Au lendemain du 11 septembre 2001, la population américaine était tétanisée. Elle était sous le choc de la première grande agression jamais commise sur le sol américain. Il faut savoir qu'avant cette attaque, les Etats-Unis se sentaient relativement invulnérables. Entourés de deux océans, ils n'ont jamais connu d'attaques sur leur sol. La seule guerre qu'ils ont connue sur leur propre sol était la guerre civile américaine entre 1861 et 1865. Donc, le choc provoqué par les attaques du 11 septembre a produit un effet d'unification nationale. La population américaine s'est mobilisée derrière son président, devenu un chef de guerre. Une unification qui a masqué les divisions de la société. Mais aujourd'hui, la situation est différente. Toutes les divisions (de race, de classe, de culture, celles entre démocrates et républicains…) ont refait surface de façon spectaculaire. Le pays est fracturé, comme il l'a rarement été dans son histoire. La fracture est sans doute plus importante que celle qu'il a connue pendant la guerre du Vietnam. Le président ne jouit plus du mouvement d'unité nationale né après les attentats et des doutes très forts s'expriment au sein des élites et de la population sur plusieurs sujets, notamment la guerre en Irak. Mais la situation que vous décrivez ne semble pas avoir un impact sur l'image du président Bush qui reste populaire, du moins dans les sondages… Il faut relativiser les résultats des sondages, surtout ceux réalisés après la convention des républicains et qui donnaient George Bush largement vainqueur. Ceux réalisés ces trois derniers jours donnaient une avance de seulement un demi-point en faveur du président sortant. Ce qui montre une course à la Présidence plutôt serrée. Mais sans les bénéfices du 11 septembre, George Bush n'aurait que très peu de popularité. La peur du terrorisme est-elle toujours omniprésente dans le quotidien des Américains ? Le terrorisme reste une préoccupation majeure pour les Américains. Mais ils accordent moins de crédit aux discours officiels. Ces derniers ont souvent été invalidés et démentis par la réalité sur le terrain : les armes de destruction massive inexistantes en Irak, les différentes déclarations de la Présidence sans aucun fondement, les rapports des commissions sénatoriales qui ont montré que la prise de décision au sein de l'Exécutif était plus qu'ambiguë… Résultat, aujourd'hui, les Américains croient moins ce que dit la Maison-Blanche. Par exemple, quand les autorités déclarent une alerte terroriste, ça engendre plus une polémique qu'autre chose. Au lendemain du 11 septembre, les Américains ont bénéficié d'un élan de solidarité internationale. Que reste-t-il de ce sentiment ? De ce point de vue, il y a un énorme gâchis. Le sentiment de solidarité en faveur de l'Amérique s'est vite émoussé au moment de la guerre en Irak. Comme le montrent plusieurs sondages transnationaux effectués souvent dans 30 à 40 pays simultanément, cette dernière a provoqué une fracture profonde et durable entre les Etats-Unis et le reste de la planète. On perçoit une détérioration très profonde et durable de l'image de l'Amérique dans le monde. Ce qui mine la crédibilité du discours américain au niveau international. Récemment, le FBI a arrêté un espion israélien qui travaillait au sein du Pentagone. Les musulmans accusent les Etats-Unis de soutenir aveuglément la politique israélienne. Quelle est aujourd'hui l'influence réelle qu'exercent les Israéliens sur la politique étrangère américaine ? Il est difficile de répondre simplement parce qu'il y a des questions d'hiérarchie, de causalité. Prenons la guerre en Irak : les Etats-Unis ne l'ont pas déclenchée pour Israël. Mais il y a convergence stratégique entre la direction politico-militaire israélienne actuelle et le gouvernement de Bush. Aujourd'hui, la symbiose très forte entre Israël et les Etats-Unis tient au fait que la composition sociale du gouvernement Bush est caractérisée par la présence importante sinon dominante d'un côté des chrétiens fondamentalistes du sud des Etats-Unis qui estiment qu'Israël fait partie dans un schéma biblique d'un clan divin et, de l'autre, au niveau intellectuel, des néo-conservateurs, dont beaucoup sont liés intellectuellement et politiquement au Likoud israélien. Cette symbiose entre les deux gouvernements israélien et américain n'était pas aussi forte dans le passé. Du temps de Bush père, les relations américano-israéliennes étaient beaucoup plus distantes. L. G.