Le passé commun algéro-français sera-t-il, enfin, débattu sereinement et lucidement entre les deux chefs d'Etat à l'occasion de la visite de François Hollande prévue en octobre prochain ? Le président français s'était distingué, lors de sa campagne électorale, par un discours qui tranchait avec celui de la droite menée par le président sortant Nicolas Sarkozy. Mais, entre un discours de campagne et la réalité, il y a un pas que le nouveau locataire de l'Elysée aura du mal à franchir, eu égard aux pesanteurs du passé et à la complexité du contentieux historique entre les deux pays. Le président Bouteflika avait appelé, le 8 mai dernier, une date qui rappelle les massacres de Guelma, Kherrata et Sétif, à “une lecture lucide de l'histoire commune". Dans son message à son homologue français, à l'occasion de la fête du 14 Juillet, le chef de l'Etat algérien a réitéré son appel, affirmant qu'il était temps de faire un examen “lucide et courageux" du passé entre les deux pays. “Les relations entre l'Algérie et la France ont précédé la période coloniale qui a marqué plus particulièrement notre histoire commune et laissé des traces durables chez nos deux peuples. Les blessures qui en ont résulté pour les Algériens sont profondes, mais nous voulons, comme vous, nous tourner vers le futur et essayer d'en faire un avenir de paix et de prospérité pour les jeunes de nos pays. Il est temps pour cela d'exorciser le passé en faisant ensemble, dans des cadres appropriés, un examen lucide et courageux qui contribuera à renforcer nos liens d'estime et d'amitié", a écrit le président Bouteflika dans son message. Peu avant, et à l'occasion de la célébration du 50e anniversaire de l'Indépendance de l'Algérie, le président Hollande avait écrit un message à son homologue algérien, où il a tenu à répondre à l'appel du président Bouteflika. “J'ai bien entendu votre appel, le 8 mai dernier, à une lecture objective de l'histoire, loin des guerres de mémoire et des enjeux conjoncturels", indiquant, à ce propos, que “Français et Algériens partagent une même responsabilité, celle de dire la vérité. Ils le doivent à leurs aînés mais aussi à leur jeunesse". M. Hollande a précisé dans son message qu'“il y a place désormais pour un regard lucide et responsable sur son passé colonial si douloureux et en même temps un élan confiant vers l'avenir". Cet échange épistolaire tranche singulièrement avec celui qui caractérisait les relations avec l'ancien locataire de l'Elysée. Nicolas Sarkozy, beaucoup plus obsédé à plaire à l'extrême droite française. Il y a lieu de rappeler le triste épisode où le Parlement français, mené par la droite, avait voté un article de loi, louant “les bienfaits de la colonisation" française. Un article que le président Jacques Chirac a dû retirer par la suite. Cet épisode démontre, si besoin est, qu'en France, une partie de la classe politique et de la société refuse toujours de voir ou de revoir son passé colonial. Malgré les nombreuses révélations tardives sur les atrocités commises en Algérie, à l'image de la torture, beaucoup de Français refusent toujours d'admettre que le colonialisme est, en soi, une grave atrocité et beaucoup continuent à confondre entre victime et bourreau, préférant concentrer leurs arguments sur de prétendus dérapages de la part des moudjahidine. S'il est vrai que l'histoire entre les deux pays reste à écrire, il est aussi vrai que celle-ci ne peut se faire si l'on ne parvient pas à faire le distinguo entre l'agresseur et l'agressé, entre le colonisateur et le colonisé, entre celui qui se battait pour son indépendance et celui qui le faisait pour maintenir sous occupation un autre pays. La France a bien pu dépasser son passé douloureux avec l'Allemagne. Elle pourrait très bien le faire avec l'Algérie. Il faudrait, peut-être, encore plus de temps, pour que les choses s'apaisent et que les historiens fassent leur travail, loin des chapelles politiques. Mais, d'ores et déjà, gageons que la visite de François Hollande en Algérie soit un premier geste dans le sens de cet apaisement et de cette lucidité tant espérés. A B