Le chef de la diplomatie française est aujourd'hui à Alger pour une visite de travail de deux jours. Laurent Fabius, troisième personnage de l'exécutif français y effectue son premier déplacement au Maghreb et dans le monde arabe. Avant ce voyage, les deux capitales ont eu à se dire des choses, même si les procédés relèvent de la prise de contact traditionnelle entre un nouveau pouvoir et un pouvoir déjà installé. Les présidents François Hollande et Abdelaziz Bouteflika ont eu déjà un premier entretien téléphonique le 23 mai dernier. Le ministre des Affaires étrangères français a appelé le 15 juin son homologue algérien. A l'occasion de la célébration du cinquantenaire de l'indépendance algérienne, le chef de l'Etat français a envoyé un message, certes conventionnel, mais dans lequel il y a tout de même des messages politiques à déchiffrer. Et, à la faveur de la commémoration de la fête nationale française, le président algérien a, lui aussi, au-delà des convenances diplomatiques, ouvert des pistes de réflexion et de travail pour les relations bilatérales. Ces séquences culmineront avec la visite, avant la fin de l'année, à Alger, de François Hollande, probablement la première au Maghreb, en sa qualité de président de la République. Côté français, faut-il y voir le signe que quelque chose aurait changé dans l'état d'esprit ? En tout cas assez pour penser que François Hollande, qui se veut «normal», entend contribuer efficacement à rendre normales les relations entre deux pays qui ont somme toute des liens particuliers ? C'est à voir. Pour l'instant, les gestes accomplis par le prétendant socialiste à l'Elysée ne permettent pas de se faire une idée précise des intentions réelles du candidat devenu président. Ce ne sont que des intentions symboliques qui n'ont pas été encore confrontées aux réalités complexes des rapports franco-algériens. Cependant, le message du 5 juillet de François Hollande révèle chez lui une certaine vision, nouvelle peut-être, de la relation bilatérale qui serait moins lestée par le poids de la mémoire coloniale et les tares du proche passé. Le chef de l'Etat français estime à ce propos que la France, à savoir lui-même, «considère qu'il y a place désormais pour un regard lucide et responsable sur son propre passé colonial si douloureux.» On y est donc : au devoir de mémoire, François Hollande ajoute celui de la lucidité, y compris sur le propre passé des socialistes français durant la guerre d'Algérie. Leur responsabilité historique s'appelle «pouvoirs spéciaux» à l'armée française et possède deux noms : Guy Mollet et François Mitterrand. De ce point de vue, qui dit la Bataille d'Alger, dit torture, et qui dit Guillotine dit Mitterrand. Ce passé qui ne passe pas, l'ancien mitterrandiste Hollande semble vouloir l'assumer. Prenons-en les bons augures. Surtout quand le président socialiste dit à son interlocuteur algérien que «Français et Algériens partagent une même responsabilité, celle de dire la vérité.» Encore plus lorsqu'il lui dit qu'il a «bien entendu (son) appel, le 8 mai dernier, à une lecture objective de l'Histoire, loin des guerres de mémoires et des enjeux conjoncturels.» Il lui propose alors «d'aller ensemble au-delà des liens d'une densité exceptionnelle» pour construire un partenariat d'exception, appelé de ses vœux par le chef de l'Etat algérien. Tout comme François Hollande, Abdelaziz Bouteflika part du passé pour tracer des perspectives nouvelles. Il lui suggère de «nous tourner vers le futur pour essayer d'en faire un avenir de paix et de prospérité pour les jeunes de nos deux pays.» Et, fait inédit, un chef d'Etat algérien préconise une approche dépassionnée et constructive du poids mémoriel qui obère régulièrement des relations cyclothymiques, voire même, dans certains cas, maniaco-dépressives. Le président algérien, lui-même un ancien acteur de la guerre d'indépendance, fait assaut de pragmatisme en proposant au locataire de l'Elysée «d'exorciser le passé en en faisant ensemble, dans des cadres appropriés, un examen lucide et courageux qui contribuera à renforcer nos liens d'estime et d'amitié.» On le voit bien, entre les deux pays, il y a une atmosphère nouvelle et des mots nouveaux. Après le constat de densité, les termes français, avec de nouvelles connotations, sont lucidité, responsabilité, vérité, objectivité, et approfondissement. Côté algérien, la lucidité aussi, et le courage, le raffermissement, la prospérité, l'estime et l'amitié. Le climat et les mots nouveaux sont déjà une bonne nouvelle. De bons augures. Mais il y a aussi le poids des réalités, car les relations bilatérales ne dépendent pas seulement des bonnes dispositions d'esprit et des personnalités des deux chefs d'Etat. Il y a la réalité des relations économiques certes denses mais, paradoxalement, insuffisants et structurellement figées. Elles restent limitées aux hydrocarbures, côté algérien, aux services notamment bancaires, l'agro-alimentaire, la pharmacie et les produits de l'industrie automobile, pour la partie française. Et, défaut majeur, elles ne sont pas suffisamment basées sur les réseaux et les organisations décentralisés à travers l'implication des entreprises, surtout les PME-PMI et la société civile. Et même si l'immigration est un ciment fort de l'interculturalité, la question de la circulation des personnes demeure un problème essentiel pour les Algériens, alors même que le nouveau pouvoir socialiste, malgré quelques correctifs, entend reconduire le statu quo ante en matière d'immigration. Finalement, entre Algériens et Français, même quand c'est bien, ce n'est jamais assez, de part et d'autre, pour qu'Alger et Paris deviennent ce que Berlin et Paris sont devenus. Une relation exceptionnelle. C'est-à-dire, hier passionnelle. Aujourd'hui, normale. N. K.