Le bilan semestriel de la Gendarmerie nationale fait état d'une hausse spectaculaire de la criminalité en ce premier semestre 2012. Elle explose dans tous ses compartiments : trafic d'armes et de stupéfiants, contrebande et contrefaçon, vol... etc. Le rapport ne donne pas d'explication sur la tendance ascensionnelle du crime. Il paraît, cependant, clair que si le niveau de criminalité augmente, ce n'est pas faute de moyens de lutte contre le fléau. La médiatisation, par les institutions sécuritaires elles-mêmes, des investissements dans les effectifs, la formation, les conditions de travail et l'équipement, atteste d'un effort soutenu dans ce domaine. À vue d'œil, les “signes extérieurs"- moyens mécaniques, édifices...- confirment ces améliorations. Or, cet effort s'avère insuffisant pour décourager les vocations et les activités criminelles. Le pays semble en proie à un inquiétant emballement mafieux. La corruption et les détournements de deniers publics, caractéristiques des Etats autoritaires rentiers et bureaucratiques, ont de tout temps sévi en Algérie. Mais la criminalité de droit commun n'y a jamais dépassé des proportions, ce qui la plaçaient jusqu'à récemment parmi les nations les moins éprouvées. La prévarication, autrefois contenue dans les limites des cercles claniques prédateurs, est passée, ces dernières années, du statut de tare à celui de finalité du système. Les rapports de forces politiques se sont “marchandisés" : la corruption n'est plus seulement un “privilège" de puissants, elle sert à l'allèchement clientéliste de toutes les forces politiques potentielles, que celles-ci tirent leur intérêt politique de leur influence ou de leur masse. Elle s'adresse à tous (partis, clans, notabilités, zaouïas, fortunes, clubs, catégories sociales ou professionnelles...), avec cette double fonction politique : elle désolidarise les unités sociales en atomisant les intérêts politiques des uns et des autres, d'une part, et les place toutes dans un état de dépendance rentière du système, d'autre part. La prospérité pétrolière rend cette stratégie aisément applicable. Dans cette logique où il est fait feu de tout bois corruptible, il était normal que la délinquance finisse par accéder au rang de catégorie politique. À commencer, bien sûr, par la délinquance à prétexte politique. La “réconciliation nationale" est sous-tendue par un marché : la justice n'aura pas à connaître des crimes de sang des soi-disant “repentis" ni de leurs crimes de racket. Et l'administration fermera les yeux sur les moyens de recyclage de leurs fortunes ensanglantées. Et pour ceux d'entre eux qui redoutent le blanchiment franc, l'informel est proclamé mal nécessaire. La petite délinquance n'est pas en reste des sollicitations politiques : depuis un certain 14 juin où elle a été appelée à protéger sa capitale contre des manifestants de province, le pouvoir a pris le pli de solliciter les baltaguias pour aider à la répression, comme ce fut le cas devant la tentative de “printemps algérien" au début 2011. Des gros intouchables, “oubliés" du procès Khalifa, du scandale Sonatrach et autres “affaires", à la “petite" criminalité juvénile ordinaire, nous sommes dans un univers de délinquance sans frontières. Des liens s'établissent, des promotions s'opèrent, encouragés par un sentiment de relative impunité qui se diffuse de haut en bas. Une délinquance d'essence systémique, en somme. M. H. [email protected]