Liberté : Quelle lecture faites-vous des décisions prises hier par le nouveau président égyptien de mettre à la retraite le ministre de la Défense et le chef d'état-major ? Dr Mahieddine Amimour : Ce qui s'est passé en Egypte n'était pas une surprise. Pour mieux comprendre la situation, il faut prendre en compte les éléments suivants. Primo : il y a une nouvelle génération de Frères musulmans qui a mûri avec le temps, surtout en se frottant à l'Occident. Cette génération plus au moins rationnelle, à comparer avec l'ancienne génération, impulsive, arrogante et qui vit toujours dans un huis clos d'une rhétorique et conception dépassée. Certes, pas de comparaison avec les islamisants (je ne dis pas islamistes) de certains pays arabes, pollués avec l'argent de bazar et empoisonnés par la soif aveugle du pouvoir Secundo : la direction de l'armée égyptienne a commis suffisamment de fautes que j'avais signalées dans mes papiers. Son départ est devenu une exigence populaire clamé par la foule, toutes tendances politiques confondues. L'affaire du Sinaï a montré le vide sécuritaire alarmant dans la péninsule. C'était une indication quasi approuvée par tous, que le Conseil militaire n'a pas seulement failli à la mission politique mais elle n'a pas honoré son engagement de base qui est de protéger le territoire national. Elle a passé son temps à la manipulation de certaines bribes de l'ancien régime pour rendre la vie difficile au nouveau président. Tertio : comme je l'avais souvent dit, Morsi serait une nouvelle version de Henry Truman, le président américain de profil bas qui a succédé à l'illustre Roosevelt ou comme clément Atly qui a succédé à Churchill. Le dicton égyptien dit : frappe l'attaché pour faire peur au détaché. Le fait pour le président Morsi d'annoncer cette décision à partir d'El-Azhar n'est-il pas symboliquement la consécration de la prépondérance des islamistes sur l'institution militaire ? Le discours d'El-Azhar était une explication des décisions annoncées auparavant par le porte-parole de la présidence de la République. L'élément aussi important que la tribune est le timing qui était “Laïlat el-Qadr" (la nuit du destin) qui marqua l'ouverture de l'ère coranique. Je vous fais remarquer que la date habituelle a été modifiée à dessein. Cela a été la nuit du 25 Ramadhan et non, comme d'habitude, la nuit du 27. Ruse politique oblige. À mon avis, Morsi a tenu à se présenter comme le premier défenseur de l'Islam pour une raison très simple et très subtile : marginaliser la vieille garde des Frérots, et donc se débarrasser de toute tentative d'une éventuelle revendication de tutelle politique par la direction actuelle des FM. Quel impact une telle décision peut-elle avoir au niveau de l'équation régionale, notamment avec Israël ? Pour Israël, la décision du Knesset d'accorder les pleins pouvoirs au Premier ministre Netanyahou montre à quel point les Israéliens voient la situation en Egypte avec une méfiance qui monte en crescendo. Je pense que les Egyptiens tenteront de modifier l'Accord de paix avec Israël, et ce sera avec la bénédiction des USA, intérêt stratégique oblige. C'est une ère nouvelle de la situation au Moyen-Orient, et le réveil de l'Egypte aura des conséquences remarquables, surtout pour la situation en Syrie. L'équation de rapport de force sera modifiée au détriment de ceux qui ont profité du vide créé par l'absence de l'Egypte depuis Camp David. À la lumière de cela, et en prévision de manipulation de tous genres, la question qu'il faut se poser pour l'Egypte : quelle serait la réaction de la contre-révolution égyptienne, et est-ce que les chrétiens sauront prendre la position rationnelle et patriotique nécessaire. La même question se pose d'abord pour la gauche et les nasséristes.