Contrairement à l'année précédente, ce mois sacré a enregistré des faits à la limite de la science fiction. Les délinquants, les criminels et les chauffards ont semé la mort partout. Les insuffisances structurelles se sont greffées à ce climat de tension aggravé par les coupures d'électricité, allant jusqu'à provoquer l'émeute. Le mois de Ramadhan 2012 restera sans doute dans les annales après un vécu des plus explosifs, marqué notamment par une rare violence entre les Algériens d'un même quartier ou d'une même famille, les délestages et les coupures d'eau, les incendies criminels qui ont ravagé les moissons et les cultures, des émeutes marquées par une expression d'un ras le bol et une canicule “contre nature" que même la météo n'a pas prévue. En fait, tout s'est invité à un rythme marathonien, avec une logique kafkaïenne. Dès le premier jour, la violence s'est invitée dans un décor déjà morose. Des quartiers entiers d'Alger, d'Oum El-Bouaghi, de Boumerdès et autres Mila se sont enflammés par des jeunes armés de sabres, de couteaux, de gourdins et objets tranchants. Nul n'a été épargné. D'abord un jeune de 14 ans tué à Belouizdad (ex-Belcourt), ensuite des médecins passés à tabac dans les hôpitaux, deux femmes enceintes violemment agressées, dont l'une a perdu sur place son enfant avant de rendre l'âme, alors que l'autre a perdu son fœtus juste après son admission aux urgences, des pères de famille tués ou tabassés par leur progéniture, ou encore des cadavres de victimes jetés dans des décharges publiques. Les services de sécurité ont arrêté plus de 5 000 individus. Tous impliqués dans la violence urbaine et rurale, les parricides, les fratricides, violence sur ascendants, les viols et les vols, les cambriolages et autres attaques et braquages. On a cette impression que les délinquants et les criminels n'attendaient que ce mois sacré pour extirper cette criminalité qui sommeille en eux pour pourrir la vie aux Algériens déjà assommés par le fardeau d'une mercuriale trop pesante. Victimes et auteurs à la fois, ils sont plus de 300 mineurs et 150 femmes qui sont recensés dans ces délits et ces crimes qui ont endeuillé les familles et qui ont fait imploser les rapports sociaux. La colère a dépassé son seuil sur le “thermomètre social" quand les Algériens, à l'heure de la rupture du jeûne, se retrouvent à mendier des restes de bougie de l'hiver dernier pour éclairer la table. Eh oui, les délestages n'ont pas manqué leur habituel rendez-vous malgré les promesses d'un gouvernement absent sur le terrain. Les pics de consommation ayant atteint des niveaux historiques, des millions d'Algériens ont vécu des soirées dans le noir. Tant pis pour les accros du domino ou ceux qui se sont fait piégés dans les ascenseurs. Mais la vérité est ailleurs. Il suffit de responsabiliser les walis dépositaires de projets qui consomment de l'énergie électrique et qui viennent se greffer aux petits compteurs. Il y a de quoi faire disjoncter des citoyens qui sont sortis pour couper les routes partout, exception constatée dans certaines wilayas. L'exemple le plus frappant est venu de l'est du pays, et particulièrement de Constantine, qui a sombré dans le noir total pendant plus de trois jours sans inquiéter les hauts responsables de l'Etat. Mais cela n'a pas suffi pour attiser le courroux des foyers et des institutions. Il ne manquait que ça : couper l'alimentation en eau potable. Quel décor ! Les intoxications alimentaires au rendez-vous En plus des 500 à 700 intoxications alimentaires enregistrées au quotidien, les Algériens ont frôlé in extremis le spectre des MTH (maladies à transmission hydrique). Pourtant, la canicule n'a rien laissé aux jeûneurs exténués par des températures qui ont avoisiné les 48 C° au Nord et les 55 C° au Sud. Une canicule naturelle, certes, mais appuyée par des incendies dévastateurs qui ont détruit plus de 100 000 hectares en moins de 20 jours. Un sinistre record, à défaut d'atteindre celui des Jeux olympiques de Londres que l'Algérie a triomphalement raté. Les flammes n'ont rien épargné. Jugeons-en : deux valeureux sapeurs-pompiers décédés lors des interventions, plus de 20 000 palmiers ravagés, des centaines de tonnes de foin et de moissons, des terres arables réduites à de vulgaires cendres, des oliviers, des figuiers, des milliers de ruches d'abeilles, des hangars et des maisons sont emportés par ces incendies criminels. Dans certaines wilayas du Nord, plus de 2 500 foyers d'incendie ont été enregistrés, comme à Béjaïa. Et si le Ramadhan se voulait depuis la nuit du temps un acte religieux complet, certains l'ont exploité pour escroquer autrui. C'est le cas d'un marchand grossiste pris en flagrant délit en train de distribuer des couffins du Ramadhan bourrés de produits périmés. C'est aussi le cas des contrebandiers qui ont multiplié les tentatives de fraude aux frontières où plus de 150 milliards de marchandises ont été récupérées après qu'elles eurent été abandonnées par les trafiquants de tous bords. C'est le cas également de ces dealers qui, au lieu de marquer un répit et d'abandonner la filière, se sont adonnés à la vente du cannabis devant les mosquées et dans les cités, douars et villages. Mais les récidivistes étaient aussi au rendez-vous après avoir bénéficié d'une grâce présidentielle. C'est à partir de leurs cellules de prison qu'ils ont fondé leurs dangereuses associations avant d'investir les marchés, les routes, les cités, les mosquées et les salles de jeu. Cet état de fait n'a pas épargné les usagers de la route. Avec une moyenne de 15 morts, 70 blessés et 50 véhicules sérieusement endommagés, les sinistres routiers ont causé des dégâts énormes malgré les appels à la vigilance. Certains automobilistes ont volontairement provoqué la mort des autres. Ces mêmes criminels sont allés jusqu'à justifier leurs actes par la nervosité et la perte de contrôle dues, selon leurs dires, au Ramadhan. Loin de diaboliser nos enfants, nos voisins ou autrui, on a atteint le summum de l'incivisme l'espace d'un mois censé être le rendez-vous de la piété et de la solidarité exemplaire. F B