Elle est loin la rentrée des classes du temps des colonies, quand des maîtres en shoort kaki prenaient au tableau noir des airs de grands sorciers blancs. Et d'abord qui se souvient de cette époque où notre mémoire collective était raturée sur une page déjà bien écorchée ? Sans doute les vieux francisants de l'école Jules Ferry qui n'ont oublié ni leurs plumiers, ni leurs participes, ni leurs tables de multiplication qu'ils ânonnaient studieusement à chaque récréation et cela qu'il pleuve ou qu'il vente. Aujourd hui qu'ils sont pères et grands-pères, ils doivent sûrement éprouver de la fierté à voir leurs enfants franchir pour la première fois la porte de l'école algérienne, celle qui fera d'eux des responsables ou peut-être des chômeurs, qu'importe, mais des citoyens à part entière, soumis aux droits et aux devoirs imposés par un même collège. Bonnet d'âne ou punis au piquet près des cancres, l'école indigène a humilié et renvoyé plus d'un dans ses foyers : un bambin surpris en flagrant délit parler sa langue maternelle sans autorisation en dépit de plusieurs avertissements qui lui ont été adressés, un garçon atteint par l'âge de l'exclusion, un étourdi qui aurait fait cinq fautes d'orthographe au concours d'entrée en sixième même si par ailleurs il avait cartonné dans les autres matières. Le pauvre malheureux était appelé à rejoindre sans état d'âme la longue cohorte des cireurs et des portefaix qui encombraient en ce temps-là les rues et les places publiques. Tout était calculé au cordeau pour briser l'élan et la fraîcheur des petites djellabas. Le filtre de l'administration ne laissait rien passer, seuls quelques élus étaient alors admis dans les lycées. Aujourd'hui, c'est l'inverse. Les mailles de notre système scolaire n'étant pas étanches, elles laissent finalement tout passer le bon et le moins bon. Résultat, nous récoltons en fin de cursus le moyen, le passable et le médiocre et souvent le pire et nous restons persuadés d'avoir produit le meilleur.