Paru aux éditions Apic, lors du dernier Sila, la biographie de Serge Michel, que sa fille lui consacre est saisissante. Dans cet entretien, la biographe nous décortique la personne qu'il a été, libre et libertaire, et soutenant toutes les causes justes. [Entretien réalisé par Hana Menasria] Liberté : Pouvez-vous nous présenter, même brièvement, «Serge Michel, un libertaire dans la décolonisation», paru aux éditions Apic ? Marie-Joëlle Rupp : Cette réédition coïncide avec le cinquantenaire de l'indépendance et c'est important parce que c'est un militant anticolonialiste, acteur de la guerre de libération algérienne et ancien moudjahid qui a eu des obsèques nationales en 1997, et dont l'enterrement a eu lieu à El Allia. Il a aussi reçu la nationalité algérienne à l'indépendance du pays. Serge Michel est arrivé en Algérie plusieurs années avant la révolution de novembre, il est entré en contact avec des personnages solaires comme Kateb Yacine, Issiakhem, Sénac et surtout Ali Boumendjel, qui est devenu son ami et qui l'a introduit aux côtés de Ferhat Abbas. D'ailleurs, il l'a sitôt recruté comme caricaturiste dans l'organe de presse «République algérienne». Il y a quelques caricatures dans le livre ; elles sont intéressantes car elles racontent l'histoire à travers cet art qui porte un certain regard sur l'histoire algérienne. Il devient ensuite secrétaire de rédaction de la République algérienne, et reporter auprès de toute l'équipe. Quand la guerre éclate, le journal est fermé et le voici parti dans la clandestinité. Il va transporter des textes pour diffusion et impression en Europe. C'était des textes pour propager la lutte, comme un exemplaire de la plateforme de la Soummam. Ensuite, il part à Tunis pour rejoindre l'équipe d'El Moudjahid, la militance va continuer avec la radio, il deviendra la voix française de ce qui deviendra la voix de la «République algérienne», une émission radio diffusée depuis Tunis. Dès l'instauration du GPRA, il devient porte parole auprès de la presse occidentale avec ce qu'on appelait le «Maghreb Circus». Il sera également commentateur et scénariste des films de propagation de la lutte comme «Les fusils de la liberté», «Djazaïrouna» et «la Bataille d'Alger». Après la libération, il sera envoyé par Mohamed Yazid récupérer les locaux de l'école d'Alger, ce sera celui qui substituera le drapeau français par le drapeau algérien sur le toit du bâtiment du gouvernement algérien. Il travaillera ensuite dans le quotidien «El Chaâb», où il va recruter la première équipe de jeunes journalistes algériens. En 1963, Serge Michel, organise le premier stage de journalistes algériens et il ramènera des spécialistes à Alger dont Claude Roy. Il a formé vingt deux jeunes entre 19 et 30 ans. C'était le premier stage de journalistes de l'Algérie indépendante, certains vont dire c'est le «frère» et d'autres le «père» du journalisme algérien. Il va ensuite créer avec Mohamed Boudia, le journal «Alger ce soir», une nécessité en vue de couper l'influence de «France Soir», qui existait encore en Algérie. Comment a-t-il vécu son « exil » en France ? On ne peut pas parler d'exil, on ne peut pas exiler dans son pays natal. Ce départ de l'Algérie s'est produit à cause des menaces perpétrées à son encontre quant il vivait dans la région du M'zab en 1994. Il ne voulait pas partir, mais, on l'a persuadé de le faire. A son retour en France, il était très malade. D'une part, heureusement qu'il soit rentré, sinon je ne l'aurais jamais retrouvé. Je l'ai retrouvé grâce à un film de Raoul Peck, « le Rumba » où Serge Michel, témoignait abondamment. On a su alors qu'il était encore vivant. Car, nous pensions tous qu'il était mort. Il a très mal vécu son retour en France, il a continué dans la presse, puisqu'il a participé à Paris à « Alger info international », jusqu'à la dernière minute et il a écrit pour la presse. Depuis, l'Algérie est devenue centrale dans mon existence à tel point que je consacre ma vie aux témoins et acteurs de la guerre de libération. Vous avez écrit de nombreuses biographies. Mais, celle-ci est très personnelle. Comment avez-vous vécu cette expérience ? J'en ai fait plusieurs, celle-ci était indispensable pour moi, j'étais frustrée de cette rencontre brève, vous savez rencontrer son père et avoir à tout réapprendre de lui, non seulement son histoire intime, même si je la connaissais à travers mes grands-parents et ma mère c'était difficile. Mais, mon histoire est l'histoire collective de la guerre d'indépendance. Quand j'étais jeune écolière, collégienne et lycéenne je n'étais pas enseignée. En plus, il y a toute une période en France où on a mis une chape sur cette mémoire, on n'en parlait pas. C'est seulement depuis quelques années qu'on commence à en parler. En plus avec le cinquantenaire y a beaucoup de films documentaires sur cette période. Je pense qu'aujourd'hui, je continue en quelque sorte ce combat puisqu'il faut diffuser la vérité sur ce qu'a été la gouvernance coloniale, à laquelle les français ont beaucoup de mal à admettre. Il est très mal venu d'en parler en France parce que ce sont les fondements de la République qui sont mis en cause, il y a tout un travail à faire. Je ne suis pas historienne de formation mais historienne de circonstance. J'ai une formation de juriste et de criminologue. Sur Serge Michel, j'ai travaillé à partir des ouvrages qu'il a laissés, de ses articles de presses complétés par des dizaines d'interview d'acteurs et témoins de la guerre de libération et des guerres de libération en Afrique Subsaharienne, par des mémoires et des ouvrages historiques. On peut avancer comme ça, on peut faire ce travail là, et je vis justement en France pour rendre compte à travers ces témoins, parce que je pense que l'essai n'est pas abordable par tout le monde. Mais, l'essai biographique c'est autre chose, on fait vivre un personnage on lui donne corps et je crois que le lecteur va être plus incité à venir y voir, c'est presque une forme romanesque parce que ces gens là ont une vie comme un roman et j'espère qu'à travers ce type d'écrit les gens vont continuer à découvrir ce qui fait partie de leur mémoire, leur passé et regarder la réalité en face et si je suis heureuse de l'avoir publié en Algérie c'est que je voudrais que des gens comme lui qui sont tombés dans l'oubli qu'on oubli pas que des gens d'origines européennes ont donné complètement leur vie pour le combat de la libération d'Algérie et la cause algérienne. Pourquoi le qualifiez-vous d'«intellectuel libertaire» ? Je lui ai demandé à la fin de sa vie comment te situes-tu ? Il s'est déclaré anarchiste libertaire. Après dans les témoignages certains comme Kateb Yacine l'ont cité comme camarade Trotskiste et les Chaulet m'ont dit la même chose. Mais, Serge Michel, s'est déclaré anarchiste libertaire. Je pense qu'au début quand il est arrivé à Alger, il a pris le pseudonyme de Serge Michel, comme Victor Serge, le révolutionnaire russe qui à l'origine était anarchiste et Michel comme Louise Michelle, la vierge rouge de la commune de Paris donc ce sont deux grandes figures du mouvement libertaire, il s'est affirmé dès le départ dans cette direction là. Que vous apportez le fait d'écrire sur votre père ? Cela m'a tout apporté, cela m'a permis d'entrer dans l'histoire, j'ai trouvé ma place dans l'histoire. Il faut trouver sa place dans l'histoire par forcément par des actes héroïques. Mais, tout simplement de prendre conscience de ce que nos anciens ont vécu, il faut se situer dans l'histoire, cela m'a donné vie d'une certaine façon, cela m'a régénéré, cela m'a fait naitre une deuxième fois, je suis née à mon histoire collective et puis évidemment je suis née à ce pays qui a pris une place essentielle qui ne me quittera plus jamais. Ce pays est entré complètement dans ma vie et il fait partie de moi, j'ai une connivence par l'intermédiaire de la mémoire de mon père et là par exemple au SILA je sens un battement au cœur, alors qu'en France je m'ennuie. Dans votre livre, nous avons l'impression que Serge Michel a vécu plusieurs vies, une sorte de fantôme qui a voyagé traversé toutes les révolutions... C'est ce que tout le monde me dit, il était là et jusqu'à aujourd'hui je trouve son nom au détour d'un ouvrage, au détour d'un article. Je l'appelais «l'aventurier des révolutions». Mais je n'ai pas gardé ce titre parce qu'aventurier a souvent un sens péjoratif. Mais ce n'est pas du tout dans un sens péjoratif, il a voulu enchanté sa vie, malheureusement c'était aussi dans des heures tragiques et la vie n'a pas été un enchantement, par exemple quand il a appris la mort d'Ali Boumendjel, cela été pour lui une tragédie. Jean-Claude Carrière le préfacier parlait d'un fantôme du siècle et effectivement c'était un personnage très énigmatique, déjà parce qu'il y a eu la clandestinité. Quand on est dans la clandestinité, c'est essentiellement énigmatique. Pourquoi ? Je m'interroge toujours ! Je pense qu'il aimait bien cela, il aimait bien se fabriquer ce personnage dans l'esprit de la littérature russe, il aimait aussi se fabriquer son propre mythe, c'était un magnifique personnage de roman. H. M.