C'est le responsable local de la Laddh qui a filmé la macabre découverte dans la commune de Sidi Mohamed-Benaouda. Le président du bureau de Relizane de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'homme (Laddh), Hadj Smaïl a fait une révélation fracassante, hier, lors d'une conférence de presse qu'il a animée avec l'avocat Me Ali Yahia Abdenour, au sujet des disparus. En effet, il parle d'un nouveau charnier qu'il a lui-même découvert dans la commune de Sidi Mohamed-Benaouda, à 3 km de la ville de Relizane et à 400 mètres d'un cantonnement de la “milice de Fergane”. Ce dernier, ex-DEC de cette municipalité, est accusé publiquement par l'orateur d'être à l'origine d'une centaine d'enlèvements – il y en aurait 112 – mais aussi autant d'assassinats. Hadj Smaïl raconte : “Tout a commencé le 5 novembre dernier, quand des citoyens sont venus dans mon bureau m'informer de l'existence d'un charnier dans cette localité. Je me suis alors rendu sur place pour confirmer la nouvelle ; et c'est là que j'ai découvert le funeste spectacle des dizaines d'ossements humains et d'habits que la crue de l'oued a rejetés à la surface. Ce fut terrifiant à voir”, lâche-t-il, encore sous le choc de ces images atroces. Et en parlant d'images, Hadj Smaïl a tenu à immortaliser le charnier, en guise de pièce à conviction. Il poursuit son récit : “Le 13 novembre, j'ai pris mon caméscope pour aller filmer sur place et j'ai ramené avec moi un survêtement vert, une gandoura blanche et un briquet jaune retrouvés dans ce cimetière à ciel ouvert”. Hadj Smaïl invite alors les journalistes à suivre en “live” ce qu'il venait de narrer, à travers un “argument” vidéo. Il faut signaler d'emblée que sur l'écran de la télévision la date indiquée est bel et bien le 13 novembre dernier à 14h. Quelques scènes chahutées prouvent la fébrilité de l'homme qui craignait sans doute d'être pris en “flagrant délit”. “Je savais que j'encourais un gros risque puisque cet endroit est fréquenté par la police et la gendarmerie. C'est pour cela que vous remarquez les mouvements brusques de la caméra”, explique-t-il aux journalistes. De retour chez lui, il précise avoir convoqué la femme de la victime – feu Saïdane Hadj Abed – qui, selon lui, avait formellement reconnu le survêtement de son défunt mari âgé de 55 ans. Son fils présent, hier, lors de la conférence de presse, affirme lui aussi avoir reconnu le briquet de son père et son survêtement. Il se souvient même du jour de l'enlèvement de son père : le 9 septembre 1996, à 9h, dans son local commercial. “J'avais 25 ans à l'époque et je me souviens très bien, ils l'ont embarqué dans un fourgon de marque Citroën immatriculé 1873 SX 42 qui appartient au parc de la commune. Je revois encore les visages de Hadj Fergane et de Benachir Aoued tous deux anciens DEC accompagnés d'une soixantaine d'éléments qui étaient venus prendre mon père. Depuis, nous ne l'avons plus revu…”, se remémore le fils. La voix éteinte, le jeune homme affirme avoir déposé plainte contre le fameux Fergane auprès du tribunal de Oued Rhiou, mais “le juge d'instruction a clos le dossier en estampillant la plainte contre X”. Il déclare aussi avoir accusé ouvertement Fergane devant la cour, mais rien n'y fit. Hadj Smaïl ironise même que celui-ci est encore “en bonne santé à Relizane”. Frih Djelloul est un autre père éploré par la douleur qui accuse également “Fergane et sa milice” d'avoir enlevé puis tué ses deux enfants, Mustapha et Djillali, le 18 août 1995. Sa colère s'est aiguisée, il y a 15 jours, quand un officier de police l'a convoqué pour lui dire ceci : “Demande à ton fils de descendre du maquis”. Le malheureux sait bien sûr que ses deux enfants nés en 1967 et en 1971 ont été tués par la même milice. Il interrompt son récit et éclate en sanglot… puis se reprend : “La police les a interrogés pendant un mois avant de les relâcher, mais Fergane me les a repris”, s'écrit-il. Rachedi Mustapha, lui, témoigne du rapt de son vieux père âgé de 75 ans qui avait été enlevé par le même groupe le 2 août 1995 : “J'ai témoigné contre Fergane, mais en vain. En octobre dernier, je suis allé demander une attestation de disparu au tribunal, mais on m'a demandé de signer un PV où il est écrit que mon père est mort égorgé et mutilé.” Par qui donc ? Ni la justice ni les autorités n'ont répondu à cette question. Il y a, cependant, une seule certitude pour tous ces témoins : c'est Hadj Fergane qui a enlevé les leurs. Le reportage vidéo de Hadj Smaïl donne, crûment, à voir l'étendue de cette tragédie et relancera à coup sûr la polémique sur ce lourd dossier des disparus. H. M. 7 203 cas recensés Selon Me Ali Yahia Abdenour, le nombre de dossiers de disparus recensés à ce jour, avec des fiches individuelles, s'élève à 7 203 au niveau national. La Ligue qu'il préside compte se porter partie civile si les familles des personnes reconnues dans le nouveau charnier venaient à déposer plainte contre Fergane. C'est du moins ce qu'il a déclaré. Une réunion avec les candidats à la présidentielle La Laddh envisage de discuter directement avec les postulants à l'élection présidentielle pour leur poser la question sur leur programme concernant les droits de l'Homme, notamment sur le dossier des disparus. Selon Ali Yahia, ces rencontres se feront durant le mois de janvier prochain. H. M.