L'annonce par Kadhafi de renoncer à son programme de développement d'armes de destruction massive (Adm) n'est pas si surprenante. C'est l'aboutissement d'un processus de révisions diplomatico-politiques que Kadhafi a mis à exécution depuis au moins deux années. On savait Kadhafi “bouillonnant” et “imprévisible” mais après les attentats terroristes contre les deux tours new-yorkaises, symboles de l'Amérique impériale, le leader libyen n'a pas cessé de faire des avances à l'Occident. En avouant publiquement avoir cherché à acquérir les Adm, Kadhafi crédite du coup toutes les accusations, menaces et mesures que les Libyens ont essuyé de la part des Occidentaux. Les Etats-Unis, à la tête de la croisade anti-libyenne, ne se sont pas contenté d'un simple embargo. La chasse américaine a été jusqu'à bombarder la résidence du chef de l'Etat libyen, occasionnant la perte de proches. C'était au temps de Reagan. Bush lui a promis davantage en inscrivant la Libye sur son agenda des Etats voyous. Kadhafi a fait acte de repentance sur son “terrorisme d'Etat” en reconnaissant l'été dernier sa propre implication dans des attentats contre deux avions civils. L'un, américain, au-dessus de l'Ecosse, à Lokerbie, et I'autre français, au-dessus du Tchad. Il a même mis sa main dans la poche pour dédommager généreusement les parents des victimes. Bush, évidemment, ne peut que se satisfaire de l'initiative de Kadhafi qui lui offre sur un plateau toutes les justifications à propos de la croisade américaine contre la prolifération des Adm et le combat contre le terrorisme international. L'annonce libyenne arrive à point nommé pour la Maison-Blanche qui essuie déconvenue sur déconvenue dans son équipée en Irak et, partant, dans sa volonté de jouer en solo le rôle de gendarme dans le monde. Ainsi que pour le locataire du Dix Down Street, Tony Blair, qui attendait avec inquiétude la publication du rapport Hutton devant statuer sur la responsabilité de son gouvernement dans le suicide de David Kelly, un expert en Adm, qui, réfutant l'existence de ces armes en Irak, s'était prononcé contre l'invasion militaire de Bagdad. Kadhafi ne s'est pas contenté de montrer patte blanche à l'Occident. Il s'est, spectaculairement, détourné du monde arabe qui, pour lui, avait été sa référence, son fantasme et son principal champ d'activité. Avant de claquer la porte à la Ligue arabe, Kadhafi ne s'est pas gêné pour dire ce qu'il pense de ses membres, dans des termes politiquement incorrects. Au sommet de Beyrouth, c'est tout juste s'il n'est pas arrivé à l'empoignade avec le représentant du Koweït. Tripoli n'évoque même plus la Palestine, alors que c'était, pratiquement, le fonds de commerce de Kadhafi. Le leader libyen s'est entièrement investi dans le continent africain où le passage de l'Oua à l'Union africaine (UA) a été financé par lui ainsi que ses derniers sommets. Kadhafi, qui nourrissait de l'aversion pour l'Europe, la courtise aujourd'hui, sollicitant un accord d'association en qualité de riverain de la Méditerranée. Sa présence au sommet de Tunis des 5+5 n'est pas passée inaperçue. Pourquoi ce virage à 180 degrés de la part d'un dirigeant qui s'était fait le porte-voix même de causes impossibles ? C'est vrai, ses entreprises hors de ses frontières ne lui ont voué que suspicions, mises en garde et un terrible embargo. Mais il n'y a pas que cela. Vieillissant, le leader, qui a géré son pays selon le mode patrimonial, caresse le vœu de transmettre le témoin à l'un de ses fils. Pour faire passer la pilule, il sait qu'il doit normaliser ses relations avec l'Occident qui, de son côté, n'en demande pas plus. La Libye, c'est non seulement un puits de pétrole mais aussi un vaste chantier. Le business, c'est la trouvaille de Kadhafi et, en un sens, il n'a pas tort. Reste la question de la démocratie en Libye. D. B.