Le consensus a été difficile à obtenir, hier, entre toutes les composantes des coordinations “dialoguistes”. Il a été très long à se dessiner : après d'interminables et âpres débats de près de 16 heures, le consensus autour de la “décision de prendre langue avec le pouvoir”, pour reprendre l'expression en vogue chez les délégués, a été finalement trouvé par les différentes coordinations présentes au conclave de l'Interwilayas de Boudjellil à quelque 85 km à l'ouest de Béjaïa. Une délégation composée de onze membres : trois pour Tizi Ouzou (Mohand Iguettoulène, Boumekla et Chekkar), trois pour Béjaïa (Mezouaï, Redjdal et Benouaret), trois pour Bouira, un pour Alger, Boumerdès et Tipasa (Zemouki) et enfin un membre pour Batna et Sétif (Fatah Achoura), a été mise en place, hier, à Boudjellil. Elle aura l'insigne honneur de parapher le protocole d'accord avec les représentants du gouvernement lors d'une rencontre prévue pour les prochains jours, probablement samedi ou dimanche. Elaboré par une commission mise en place lors de la plénière d'hier, ce protocole d'accord porte essentiellement sur la mise en œuvre des “six incidences”. C'est ainsi qu'il est demandé du “pouvoir” la libération des détenus, l'annulation des poursuites judiciaires avec un engagement de sa concrétisation, l'engagement pour le règlement du contentieux de la Sonelgaz, la réintégration des travailleurs licenciés durant les évènements de ce qui est appelé Printemps noir, la “révocation des indus élus” immédiatement après la rencontre et enfin l'amnistie fiscale avec engagement et qui prendra effet, également, immédiatement après le paraphe dudit document. La commission a aussi défini les prérogatives de cette délégation : outre qu'il lui échoit le rôle de parapher avec les “représentants de l'Etat” le document portant concrétisation des incidences, la délégation doit jouir de toute la confiance de l'Interwilayas à laquelle elle est tenue de faire un compte-rendu détaillé de la rencontre. Sur un autre registre, les délégués présents à la plénière ont décidé d'exclure l'ENTV de la cérémonie. Par ailleurs, dans la déclaration qui a sanctionné les travaux de la plénière, les délégués n'ont pas manqué de brandir des menaces à peine voilées. “Le mouvement citoyen prend à témoin l'opinion nationale et internationale quant à tout blocage éventuel de la part des représentants de l'Etat qui conduirait au rejet de l'élection présidentielle consacrant de ce fait la rupture entre l'Etat et les citoyens”, lit-on dans la déclaration. “Le chantage d'Abrika” S'il va sans dire que cette nouvelle initiative tranche singulièrement avec les positions jusqu'au-boutistes du mouvement prises jusque-là, le consensus pour “franchir le Rubicon” n'aura pas été cependant une mince affaire. La Coordination intercommunale de la wilaya de Béjaïa (CICB) avait, dès 18 heures de la journée de lundi, engagé une concertation autour de la position à adopter par rapport à la proposition de désigner une délégation qui devrait se mettre à la table du dialogue. Ce n'est que vers 4 heures qu'ils réussirent à trouver le consensus au sein des diverses coordinations communales de Béjaïa : accepter le principe d'une délégation avec, cependant, un ultimatum de 10 jours pour jauger, d'abord sur le terrain, les intentions des autorités, notamment dans la concrétisation de leurs récents engagements avant d'établir un quelconque contact. “Le pouvoir mise tout sur la première rencontre, c'est pourquoi il faut s'entourer d'un maximum de garanties. On demande dix jours, pourquoi se presser ?”, explique devant la plénière Bezza Benmansour, porte-parole de la CICB. Cette proposition a été du coup rejetée par la CADC et la Cccwb. La CICB se retire alors pour un nouveau round de concertations. “C'est un chantage d'Abrika”, s'insurge un délégué. Selon Bezza, Belaïd Abrika aurait exigé de la CICB de “décider ou alors lui et les autres coordinations décideront de la désignation de la délégation”. “Ils veulent nous forcer la main pour aller au dialogue”, reprend un autre délégué. Ali Gherbi lance même un défi : “S'ils veulent partir, qu'ils partent mais, pour nous, la libération des détenus est la première priorité.” Les accusations fusent et le doute commence à s'installer. “Il paraît qu'il y a un engagement qui a été donné pour désigner la délégation aujourd'hui”, ironise un délégué. Les larmes de Khellaf Un sentiment de peur que le mouvement implose planait sur les travaux et se lisait sur beaucoup de visages alors que le temps s'égrène à l'horloge bretonne. Il était huit heures hier et une solution “au lapin posé” par les autres coordinations n'a toujours pas été trouvé. “On refuse d'aller au dialogue sans le préalable de la libération des détenus. Celui qui veut partir qu'il parte”, tranchent unanimement les délégués de Tifra, Seddouk, Tazmalt. Alors que la tension montait, certains délégués se sont même retirés avant de revenir vers la fin. Ali Gherbi avance une nouvelle proposition qui se révéla un sésame : accepter de faire partie de la délégation et d'introduire dans le protocole d'accord un délai pour la satisfaction des incidences. À défaut, “on retournera brûler les pneus”, dit-il sous les acclamations. Mais ce sont, sans nul doute, les larmes de Da Khellaf qui rétabliront la communion. “Je ne crois plus en ce mouvement, chacun doute de l'autre”, dit-il avant de fondre en sanglots. Réfractaires jusque-là, les délégués de Tifra et de Seddouk finissent par accepter la proposition de Ali Gherbi. Par “souci de consensus”, expliquent-ils. C'est alors que la CICB arrive à trouver le compromis pour rejoindre la plénière. Après l'annonce par Bezza Benmansour de la nouvelle disposition de la CICB, les acclamations fusent dans la plénière. Le consensus tant espéré a été enfin trouvé. Le reste des débats ne sera qu'une suite de palabres sur les détails techniques autour de la délégation à “envoyer au charbon”. K. K.