Les praticiens alertent sur l'urgence de les transférer dans des centres spécialisés (à l'étranger). “Avant que ce soit trop tard", disent-ils. Si on évoque leur cas, aujourd'hui, ce n'est pas parce que le reste des malades, en Algérie, bénéficient d'une meilleure prise en charge. C'est tout simplement parce que l'état dans lequel se trouve une quinzaine d'enfants souffrant du cancer de l'œil, (le rétinoblastome : tumeur maligne de la rétine paraissant chez le nourrisson ou le jeune enfant), relève, désormais, d'une extrême urgence. Ils sont carrément condamnés à mort, devant la “négligence" dont ils sont victimes, tant qu'ils ne bénéficient pas de l'attention voulue de la part des services de la Caisse nationale d'assurances sociales, (Cnas), seule instance compétente à décider de leur prise en charge à l'étranger. À défaut d'honorer ses engagements financiers auprès des hôpitaux français et suisses, la Cnas n'a pas trouvé mieux que de suspendre, depuis 2011, toute prise en charge à l'étranger de cette frange de patients, alors que le traitement conservateur (radiothérapie externe et/ou curiethérapie et/ou thermo-chimiothérapie), que nécessite la prise en charge de cette pathologie précise, n'existe pas en Algérie. Déjà endettée auparavant auprès de l'Institut Curie de France, la Cnas avait accepté, en 2009, de transférer les enfants atteints du rétinoblastome dans un centre spécialisé en Suisse, sur recommandation du service d'ophtalmologie de l'hôpital Mustapha-Pacha, dirigé par Mme le professeur B. Hartani, également présidente de la Commission nationale d'ophtalmologie. Mais, au grand malheur des patients, affirme Mme Hartani, les Suisses ont également décidé de résilier leur contrat avec la Cnas, seulement deux années après (en 2011), pour le même motif : non-paiement des dettes de la Cnas. Pour justifier leur défaillance, explique, désabusée, Mme Hartani, les services de la Cnas ne trouvent pas mieux que de “nous accuser de ne pas leur avoir proposé un centre spécialisé autre que celui de Suisse ou l'Institut Curie de France". “Hormis ces deux centres suisse et français, le seul centre spécialisé dans le traitement (conservateur) du rétinoblastome que nous avons pu trouver était celui de Jordanie. Mais, là encore, la Cnas a opposé, sans explications, son refus catégorique", fait savoir encore la présidente de la Commission nationale d'ophtalmologie. Pendant ce temps, la situation des enfants atteints de cette pathologie s'aggrave chaque jour un peu plus. Inquiets pour le sort des dix enfants traités au niveau de son service, ainsi que d'autres cas enregistrés aux hôpitaux de Beni Messous et d'Oran, Mme Hartani et son élève, le Dr Aït Yahia, alertent sur l'urgence de les transférer dans des centres spécialisés (à l'étranger). “Avant qu'il ne soit trop tard", disent-ils. Il faut savoir, en effet, que ce type de cancer se métastase comme tous les autres. L'hôpital Mustapha-Pacha accueille, chaque année, entre 25 et 30 cas de rétinoblastome dont 40% sont bilatéraux (les deux yeux atteints) et 60% unilatéraux (un seul œil atteint). 30 à 50% des cas bilatéraux nécessitent un traitement conservateur, donc un transfert à l'étranger. “Nous avons dépassé les doses permises de chimio" La même inquiétude a été exprimée par Mme le professeur Gachi, chef du service oncologie pédiatrique du CPMC, qui, elle, avertit que le traitement conservateur doit intervenir le plus tôt possible, car “nous avons déjà dépassé les doses permises en termes de traitement par chimiothérapie". En fait, explique-t-elle, les cures de chimio ne sont qu'un traitement palliatif et/ou préventif visant à atténuer les souffrances des patients en attendant leur transfert à l'étranger pour recevoir le traitement conservateur et leur permettre une guérison totale. Or, déplore-t-elle encore, “les doses de chimio permises ont été déjà dépassées dans la plupart des cas ; nous avons même doublé les doses pour certains, en passant de 4 à 8 cures, dans le but d'augmenter les possibilités de prolonger leur vie en attendant leur envoi à l'étranger pour le traitement conservateur, soit le traitement final". Et le même professeur de tirer la sonnette d'alarme : “Sachant que les traitements par la chimiothérapie sont très lourds, nous ne pouvons, bien entendu, plus leur prodiguer d'autres doses. Désormais, ils doivent passer au traitement conservateur, c'est l'ultime moyen de leur sauver la vie." Mme Gachi n'omet pas de rappeler que les responsables des services d'oncologie et d'ophtalmologie, concernés en premier lieu par la prise en charge de cette frange de patients, avaient déjà frappé à toutes les portes, mais en vain. “Oui, nous avons maintes fois sollicité, et ce depuis la décision de suspendre la prise en charge de nos patients à l'étranger, les services de la Cnas ou encore ceux des ministères du Travail et de la Santé, mais nous n'avons jamais eu de réponse. Mieux, aucun responsable de ces instances n'a accepté de nous recevoir un jour." Les parents tourmentés Et depuis, c'est la galère aussi bien pour les professionnels confrontés à ce drame social que pour les parents d'enfants souffrant le martyre, ballottés d'un service à l'autre, d'une instance à l'autre... “Hélas, cela fait une année depuis que nous courrons, moi et ma femme, entre les hôpitaux et la Cnas, sans qu'une solution ne soit trouvée à notre problème. Ce que nous vivons est dramatique ; chaque fois que je me rends aux services de la direction générale de la Cnas, à Ben Aknoun, ils me renvoient vers la commission des prises en charge à l'étranger, installée au niveau de cet hôpital (Mustapha-Pacha, ndlr). Et cette dernière instance de réitérer, à chaque fois, le même argument : patientez jusqu'à ce que les médecins vous trouvent un centre spécialisé à l'étranger", raconte, tourmenté, un parent venu de M'sila, provoquant l'étonnement du médecin traitant de son enfant, au courant du “subterfuge" usé par les services de la Cnas. Et le docteur Benyahia de prendre la parole avec amertume : “Vous avez entendu ce qu'on dit aux parents, alors que le professeur Hartani et moi, qui traitons ces enfants, nous envoyons constamment à la Cnas des compléments de compte-rendu de tous les patients dans lesquels nous détaillons, cas par cas, leur situation, toujours en insistant sur l'urgence de les transférer dans un centre spécialisé (...)". Remettant en cause cette “contrevérité" brandie par les services de la Cnas, Mme Hartani a souligné, de son côté, que ses services ont “constamment informé les autorités compétentes, (la Cnas et le ministère de la Santé, ndlr) sur cette situation". À quand le traitement conservateur en Algérie ? Exhibant un rapport intitulé “prise en charge du rétinoblastome" dont une copie nous a été remise, qu'elle a personnellement rédigé et adressé en 2008, à la fois au ministère de la Santé et à la Cnas, Mme Hartani rappelle qu'il y a déjà bien des années depuis que “nous avons alerté sur la prise en charge du rétinoblastome dans notre pays". Pourquoi le traitement conservateur du rétinoblastome n'est toujours pas disponible en Algérie, et ce, en dépit des budgets colossaux alloués à la... réforme hospitalière ? Mme Hartani a tenu à rappeler que “la commande pour l'achat d'un matériel pour traitement conservateur a été passée au ministère depuis 2003 par l'ancienne chef de service ophtalmologie, la défunte professeur Oussedik, avant qu'une autre requête ne soit formulée, en 2008, par moi-même". Selon Mme Hartani, le prix d'un matériel pour le traitement du rétinoblastome (carbo-laser) équivaut au coût de deux ou trois transferts de malades (environ 220 000 euros). Néanmoins, selon les derniers échos parvenus du ministère de la Santé, le nouveau directeur en charge de ce volet, installé tout récemment par le ministre Abdelaziz Ziari, serait, dit-on, favorable à l'option d'achat du matériel pour le traitement conservateur du rétinoblastome en Algérie. F. A.