Le blocage de la raison dans la pensée musulmane est-il bénéfique ou maléfique pour l'islam ? est le titre du livre de Razika Adnani publié chez Africorient. L'ouvrage, écrit en langue arabe, se distingue par son style fluide et accessible inhabituel chez les philosophes. Un style que l'auteure a choisi car, pour elle, la responsabilité de l'intellectuel envers son idée est de la transmettre et il ne peut le faire que s'il s'adresse aux autres dans un langage compréhensible par le plus grand nombre. Sa responsabilité devient encore plus grande “quand la nation est en crise, quand les problèmes la bousculent de toute part et que le temps semble se resserrer autour d'elle", comme elle le dit dans l'introduction. L'auteure commence son livre en racontant comment, selon elle, toutes les problématiques qui forment la pensée musulmane conduisent à une seule problématique essentielle qui est celle de la pensée comme source de connaissance. Cette problématique épistémologique a préoccupé les musulmans dès le lendemain de la mort du Prophète (QSSSL). Leur souci était de savoir s'ils pouvaient prendre leur pensée comme une autre source de connaissance religieuse et juridique ou si la source divine leur suffisait. Cette problématique anime aujourd'hui encore, selon elle, tous les débats exégétiques, juridiques, méthodologiques, politiques... Bien que le mouvement rationaliste ait marqué la pensée musulmane classique, les arguments contre la raison se sont multipliés. Et les musulmans ont préféré se référer, huit siècles durant, au ressenti, à l'émotion et au sentiment au lieu de se référer aux lois du raisonnement logique et de la cohérence. L'auteur pose la question des conséquences de cette vision négative de la raison sur la manière de penser des musulmans et celle de penser l'islam en particulier. Pour elle, ces conséquences sont néfastes. Les contradictions sont monnaie courante. Il est certainement nécessaire d'aimer sa religion mais il est impératif de rester cohérent avec ses principes. Aucune contradiction avec ces fondements n'est permise ni tolérable car se contredire signifie la négation de la religion elle-même. Seule la raison et son principe rationnel de non-contradiction garantissent cette cohérence qui est une exigence de la foi. Ainsi si la raison ne se contredit pas avec la foi, elle est, en revanche le moyen qui permet de penser et d'aimer justement sa religion. Si le premier principe de la foi est l'unicité de Dieu, être cohérent avec la foi signifie que le savoir humain des textes sacrés ne peut être que relatif. Les principes de l'islam réduisent à néant toute velléité d'établir une égalité entre connaissance divine et connaissance humaine. Ce relativisme qui n'est qu'une conséquence logique du principe de l'unicité que beaucoup ne respectent pas car respecter le principe de l'unicité implique acceptation de la discussion, d'autres manières de voir et de comprendre les choses. Par son ouvrage, Razika Adnani ressuscite la problématique de l'accord entre la raison et la religion et relance le débat considéré comme clos dans la pensée musulmane depuis l'échec d'Ibn Rochd.