Enfant, ce qui me fascinait dans l'Aïd, ce n'était ni le mouton, ni les vêtements neufs, ni les gâteaux. Ce qui m'attirait, c'était la magique pièce de “quatre douros" que mon père me donnait en ce jour de fête. Petit enfant, une fois “les quatre douros" tombaient dans ma petite main, je courais vers la salle de cinéma. C'était la “maison des images" fantastique ! Je n'avais le droit de visiter ce lieu étonnant qu'en cette occasion religieuse. La salle de cinéma du village était simple avec un amas de chaises alignées comme dans une soirée de deuil ou dans une fête nationale organisée par la mairie du coin. Elle n'était ni chauffée ni climatisée. J'adorais cette salle ! L'image sur l'écran qui n'était qu'une bâche de tente me paraissait claire et nette. Elle était en noir et blanc, mais moi, je la voyais en toutes couleurs possibles !! La projection était alarmée par des coupures continuelles, en hâte de connaître la suite de l'histoire du film, nous contestions cet acte, en criant fort. Mais, en réalité, ces coupures faisaient partie du spectacle ! Sans cette ambiance, le film n'avait pas de miel !! Il y avait ce vendeur-là de cacahouètes. Dans l'obscurité totale, il passait entre les rangs sans gêner personne. L'odeur des cacahouètes grillées était magique ! Certes, l'Aïd m'a appris beaucoup de choses, entre autres, le rassemblement de tous les membres de la grande famille... mais ce jour-là m'a appris une autre chose : aimer le cinéma. Par-dessus tout cela, les quatre douros de l'Aïd qui me permettaient d'accéder à la maison des images, m'a ouvert le chemin vers un autre monde. Les quatre douros m'ont mis le pas sur le chemin de la lecture romanesque. La maison des images m'a porté vers la maison des livres, les bibliothèques. Les noms d'écrivains, dont leurs romans ont été adaptés en films, à l'image d'Ihcène Abdelkaddous, Youssef Sebaï, Naguib Mahfouz, Abdelhalim Abdallah et Georgi Zidane... étaient ma première lecture. Les affiches naïves placardées sur les murs, avec des expressions provocatrices et des photos sensuels de Abdelhalim Hafez, Farid El Atrach, Faten Hamama, Farid Chawki, Mahmoud Melidji, Mahmoud Yacine, Nagwa Fouad, Marilyne Monroe, Catherine Deneuve, Brigitte Bardot... m'ont poussé vers la bibliothèque municipale ! Il était une fois la bibliothèque municipale ! Mon père fut un passionné de chevaux ! Enfant, je l'entendais parler à son cheval. Ils se comprenaient ! J'ai toujours rêvé d'être dompteur de chevaux. Sur l'écran de la maison des images, on diffusait du réclame sur Winston et Marlboro. Ce que j'adorais dans cette pub, c'était les chevaux, cela ne m'a pas poussé à aller vers les cigarettes mais plutôt à adorer les films western et cow-boy. Ainsi j'ai commencé un nouveau voyage avec la littérature américaine : Hemingway, Dos-Pasos, Edgar-Alain Po, Faulkner, Steinbeck et Tennessee Williams... Grâce à la magie des quatre douros de l'Aïd, j'ai connu Guy des Cars, Arsène Lupin de Maurice Leblanc, Victor Hugo, Zola, Albert Camus, Mohammed Dib, Mouloud Mammeri, Alexandre Dumas père et fils... Grâce aux quatre douros de l'Aïd j'ai aimé les chansons et les musiques d'Oum Kalsoum, Fayrouz, Edith Piaf, Dalida, Jean Gabin, Gilbert Bécaud, Jacques Brel, Brassens, Ferré, Beethoven, Mozart, Rachmaninov, Tchaïkovski et Mohamed Abdelwahab... Les quatre douros de l'Aïd étaient un trésor d'Ali Baba !! A. Z. [email protected]