Un événement important a marqué la fin de ce mois de septembre à Paris : la Cinémathèque française, la cinémathèque d'Henri Langlois, a enfin reçu les espaces et les moyens qui lui permettront de continuer son œuvre et d'assumer dignement son histoire et son prestige. Henri Langlois le mérite. Ce “tyran qui veille sur nos trésors”, comme aimait à le définir André Malraux, a, en effet, marqué l'histoire du cinéma. Il a permis à cet art de devenir un art majeur. En créant la Cinémathèque française en 1936, Henri Langlois a eu deux idées de génie : d'abord, en considérant le film comme une œuvre d'art authentique, il a donné au cinéma ses lettres de noblesse, ensuite, en lui donnant naissance à partir d'une association, il a assuré son indépendance et sa liberté. La nouvelle cinémathèque est aujourd'hui installée dans un palais. Conçu et construit par un grand architecte, dont la préoccupation première était la lumière, ce lieu contribuera à donner un nouvel élan à cette institution fabuleuse. Elle pourra ainsi non seulement continuer son précieux travail de protection du film mais, de plus, elle élargira son rayon d'action, touchera un plus large public, défendant par là même la dimension populaire du cinéma. Les nouveaux espaces permettront à la cinémathèque d'être ce qu'elle a toujours été, mais en plus grand et plus riche. En un mot, elle sera la nouvelle “Mecque” du cinéma avec quatre salles de projection absolument magnifiques, spacieuses et accueillantes ; un musée du cinéma regroupant tous les trésors recueillis par Henri Langlois, des décennies durant ; des galeries et halls d'exposition s'étalant sur plusieurs centaines de mètres carrés ; une bibliothèque du film (Bi Fi) où l'on pourra trouver tout ce qui a été écrit, dit et filmé sur le cinéma ; enfin, des espaces de convivialité tels que les librairies spécialisées, un restaurant, etc. Les manifestations programmées pour son ouverture ont été placées sous le signe d'un hommage à Renoir, 0avec ce titre magique : “Renoir-Renoir”. Elles regroupent une grande exposition des tableaux majeurs de Pierre-Auguste Renoir, le père, et une rétrospective intégrale des films de Jean Renoir, le fils. L'immense et magnifique photo qui meuble le hall d'entrée de ce palais, montrant Jean Renoir enfant, tenant la pipe et les pinceaux de son père, Auguste Renoir, vieux et fatigué mais peignant toujours, exprime avec intelligence et délicatesse toute la symbolique de cette manifestation. L'exposition, plaçant côte à côte un tableau et un bout de film, permet au spectateur, averti ou non, de comprendre et d'aimer deux arts majeurs qui, ici, se côtoient, qui se ressemblent, qui sont beaux l'un et l'autre et pourtant différents. Henri Langlois en serait fier. Entre Langlois et Renoir, les liens sont étroits. En effet, le premier n'a-t-il pas agi comme le second lorsqu'en 1960, le cinéma français vivant une crise terrible, il se déclara prêt à vendre les trésors qui lui étaient confiés afin de permettre aux jeunes cinéastes de la nouvelle vague de produire leurs œuvres et de relancer ainsi, non seulement le cinéma français mais, aussi, celui du monde entier ? Henri Langlois avait retenu la leçon de Jean Renoir qui, quelques décennies plus tôt, vendit des tableaux de son père pour continuer ses films après que les producteurs et financiers l'eurent abandonné. Plus tard, il racheta ces tableaux grâce aux revenus de ses films devenus des chefs-d'œuvre. Ce courage, cette audace du “tyran” amenèrent André Malraux à le suspendre. Heureusement, les cinéastes, les cinéphiles, les intellectuels s'indignèrent et conduisirent Malraux à annuler sa décision. Il est vrai que ce Monsieur était alors ministre et qu'il faisait de la politique. Les photos montrant Henri Langlois à la Cinémathèque algérienne, qu'il aimait beaucoup, présentant une rétrospective de films muets devant une rangée d'enfants de la rue Tanger qui le dévoraient des yeux, l'un et les autres partageant le même regard, nous disent combien cet ami tenait à l'éducation et à l'éveil des enfants par le cinéma. Langlois serait tout aussi fier si le nouveau Musée du cinéma destiné à la Cinémathèque algérienne, dont les plans existent depuis plus de vingt ans, ouvrait enfin ses portes à Alger. L'inauguration, rêvons un peu…, se ferait avec une grande et belle manifestation intitulée “Issiakhem-Zinet”, ouverte par le film Tahya ya Didou, restauré par la fondation Allouache. Cet événement serait à l'image de la manifestation de Paris inaugurée par le film Le Fleuve de Jean Renoir, restauré de façon magistrale par la fondation Scorsese.