Les nouvelles mutations énergétiques mondiales ont un impact stratégique sur le devenir de l'Algérie : après 50 années d'indépendance politique, en 2012 c'est toujours une économie rentière malgré ses importantes potentialités : 98% d'exportation d'hydrocarbures à l'état brut et semi-brut fin 2012 et importation de 70% des besoins des ménages et des entreprises qu'elles soient publiques ou privées, le tissu productif étant en déclin avec moins de 5% pour l'industrie dans le produit intérieur brut. Le bilan officiel de Sonatrach donne pour 2009, 43 milliards de dollars de recettes en devises, 57 milliards pour 2010, 72 milliards pour 2011 et une prévision de 76 milliards de dollars pour 2012. Ce qui donnerait un total 522 milliards de dollars entre 2000/2011 et donc environ 560 milliards de dollars entre 2000 et fin juin 2012, allant vers 600 milliards de dollars fin 2012. Cela a permis la dépense publique d'environ 500 milliards de dollars entre 2004/2013 (dont une fraction en dinars algériens) donnant des taux de croissance et de chômage virtuels et calmant le front social avec le retour de l'inflation du fait de l'inefficacité de la dépense publique qui avoisine 10% en 2012, une première depuis plus de 10 ans montrant que le cadre macroéconomique ne peut être stabilisé artificiellement sans de profondes réformes micro- économiques et institutionnelles tenant compte des mutations mondiales. Les 193 milliards de dollars de réserves de change au 1er octobre 2012 sont également une richesse virtuelle provenant des hydrocarbures. L'utopie proposée actuellement dans une rencontre prévue courant décembre 2012 pour relancer l'appareil productif serait de ne pas tenir compte tant de la concurrence internationale avec l'arrivée des pays émergents que des nouvelles filières internationalisées répondant à un nouveau modèle de consommation segmentée et de vouloir revenir aux schémas mécaniques dépassés des années 1970. Je recense cinq contraintes qui peuvent faire perdre à l'Algérie des parts de marché. Tout dépendra de l'évolution de la croissance de l'économie mondiale, de son modèle de consommation énergétique, de l'évolution des prix internationaux en termes réels tenant compte des fluctuations des monnaies clef, notamment du dollar et de l'euro et des coûts internes, pouvant découvrir des milliers de gisements mais non rentables financièrement. Car il serait également illusoire pour l'Algérie de miser sur un prix du baril à prix constant de plus de 130/150 dollars qui serait un prix plancher de seuil de rentabilité pur les énergies substituables. Le passage du charbon dont les réserves exploitables dépassent 100 ans aux hydrocarbures ont été le fait de la hausse des prix du charbon. Tenant compte également de la protection de l'environnement, faisons confiance au génie humain, et face à une hausse des prix au-delà du seuil tolérable, on assisterait alors forcément à de nouvelles sources d'énergie plus rentables et donc au déplacement du modèle de consommation énergétique. Dans la conjoncture actuelle, l'Algérie se trouve confrontée à une forte concurrence internationale et donc à cinq contraintes en matière d'énergie qui limitent forcément ses exportations futures. Qu'en sera t-il aussitôt 2013/2014 terminés avec les contrats algériens à moyen et long terme qui indexent le prix de cession du gaz sur celui du pétrole alors que nous assistons de plus en plus à une déconnection, certains partenaires poussant d'ores et déjà à la la baisse des prix ? Or les investissements dans le gaz sont très capitalistiques et à maturation lente. Qu'en sera-t-il des investissements futurs et de leur rentabilité ? L'Algérie face à la concurrence énergétique mondiale Première contrainte : le devenir du plus grand projet de gazoduc algérien Transmed qui fournit du gaz naturel algérien à l'Italie depuis 1983 à raison de 30 milliards de m3 par an qui devait être porté à plus de 34 milliards de mètres cubes gazeux fin 2010 et 40 milliards fin 2012 avec la nouvelle stratégie offensive de Gazprom à travers Northstream et Southstream. Le Northstream d'un coût évalué à 8 milliards d'euros, est un projet stratégique dont le tracé, d'une longueur de 1 224 km, doit à terme permettre de transporter 55 milliards de mètres cubes de gaz par an de Vyborg jusqu'à la ville allemande de Greifswald en traversant les eaux territoriales de la Russie, de la Finlande, de la Suède, du Danemark et de l'Allemagne. La première conduite, d'une capacité de 27,5 milliards de mètres cubes, a été achevée en mai 2011. Une deuxième est en cours de construction et doit être entièrement posée d'ici fin 2012, doublant la capacité de la liaison. Quant au projet South Stream, concurrent direct de l'Algérie, il est destiné à livrer du gaz russe à l'Union européenne via la mer Noire, dont les travaux commenceront dès fin 2012 et non plus en 2013 comme prévu initialement pour se terminer en 2015. Long au total de 3 600 km, il doit alimenter en gaz russe l'Europe occidentale, notamment la Bulgarie, la Serbie, la Hongrie, la Slovénie et l'Autriche, la Grèce et l'Italie, via la mer Noire et les Balkans. Il doit permettre à la Russie de contourner l'Ukraine, principal pays de transit. D'une capacité de 63 milliards de m3 de gaz, le tronçon sous-marin doit entrer en service en 2015, le coût estimatif du projet étant évalué à 15,5 milliards d'euros. L'ensemble de ces projets en plus de ce qui se passe en Syrie, ont remis en cause le projet Nabucco où en décembre 2011, qui devait absorber le gaz de Shah Deniz initialement envisagé pour Nabucco qui est un projet de gazoduc reliant l'Iran et les pays de la Transcausasie à l'Europe centrale. Seconde contrainte : Pour le rapport 2012 de l'AIE, les USA avec la révolution du gaz de schiste devrait être exportateur de pétrole vers 2017 et de gaz à l'horizon 2020 concurrençant sérieusement les leaders, actuellement l'Arabie Saoudite pour le pétrole et la Russie pour le gaz. Si les prévisions de ce rapport se vérifient, cela serait un grand bouleversement géostratégique. Qu'en sera-t-il pour l'Algérie si le marché américain est fermé horizon 207/2020 représentant plus de 30% de ses ventes en valeur ? A-t-on d'ores et déjà pensé à d'autres destinations géographiques et partenaires tenant compte de la concurrence internationale, des coûts y compris ceux du transport ? En effet selon le rapport du ministère de l'Energie, publié en 2011, la structure des exportations s'oriente de plus en plus vers les produits gazeux. En effet, la part des produits gazeux durant la période 1962-1999 ne représentait que 29% contre 43% durant la période 2000-2010. Quant aux produits liquides, ils représentaient 71% des volumes exportés durant la période 1962-1999, contre 57% fin 2010. Le pétrole brut exporté représentait 95% des hydrocarbures liquides en 1971 et se situait à 30% en 2010. Quant aux produits raffinés et GNL, leur part a augmenté substantiellement, passant de 3% en 1971 à 28% en 2010. Les marchés européens et américains restent les débouchés traditionnels des exportations et ces deux marchés absorbent en volume, respectivement, 63% et 29% des ventes globales des hydrocarbures et en valeur de 56% et 35%, respectivement (voir rapport MEM). Troisième contrainte : Depuis trois à quatre années, nous assistons dès lors à une déconnexion du prix du gaz par rapport à celui du pétrole, clause contenue dans les contrats à moyen terme de l'Algérie avec ses partenaires, contrats qui expirent entre 2013 et 2014. D'où actuellement des pressions pour que l'Algérie révise ses prix de cession à la baisse face à la concurrence de Gazprom dont une fraction de ses exportations est livrée aux prix du marché spot ? D'où actuellement des pressions pour que l'Algérie révise ses prix de cession à la baisse et ce en prévision de l'expiration des contrats à moyen terme. Cela concerne Gaz de France mais également Endesa et Iberdrola qui selon l'agence Reuters en date du 25 novembre 2012, dans le projet du gazoduc Medgaz entre l'Espagne et l'Algérie, seraient sur le point de vendre leurs participations en raison de la crise qui sévit en Europe notamment en Espagne, préférant acheter sur le marché spot le gaz du Qatar et du Nigeria. Cela pose un grand problème stratégique pour l'Algérie dans la mesure où les investissements dans le gaz sont très capitalistiques et à maturation lente. L'Algérie face à l'épuisement de ses ressources énergétiques rationnelles L'Algérie se trouve confrontée à l'épuisement inéluctable de ses ressources traditionnelles en hydrocarbures, pétrole et gaz. Cette situation d'euphorie financière n'est pas tenable dans le temps en maintenant son futur modèle de consommation énergétique. Autant de questions stratégiques qui interpellent les plus hautes autorités du pays car relevant de la sécurité nationale et cela n'est pas propre à l'Algérie et donc quelle alternative? Au sein d'une stratégie de mixage, car les hydrocarbures traditionnels seront encore présents encore longtemps, il faut être réaliste. Les énergies renouvelables qui sont des énergies flux inépuisables par rapport aux “énergies stock", tirées des gisements de combustibles fossiles en voie de raréfaction participent à la lutte contre l'effet de serre et les rejets de CO2 dans l'atmosphère, facilitent la gestion raisonnée des ressources locales, et surtout ce que l'on oublie souvent génèrent des emplois à forte valeur ajoutée. La production à grande échelle, ce qui implique que les lobbys pétroliers actuels participent à ce nouvel investissement massif, permettrait de réduire substantiellement les coûts tout en favorisant à l'aval une multitude de PMI-PME renforçant le tissu industriel à partir des énergies propres. Pour l'Algérie, mon pays qui a d'importantes potentialités, il y a urgence de diversifier son économie et ce pour réaliser rapidement la transition d'une économie de rente à une économie hors hydrocarbures dans le cadre de cette “Re-mondialisation irréversible". Et ce par l'intégration du Maghreb, pont entre l'Europe et l'Afrique, continent à très fortes potentialités, enjeu du XXIe siècle ou à l'horizon 2030/2040, sous réserve d'une meilleure gouvernance, l'axe de la croissance mondiale devrait se déplacer de l'Asie vers l'Afrique. Dr A. M. Professeur des universités, expert international en management stratégique Dr Abderrahmane Mebtoul, ancien directeur d'études ministère de l'Energie, Sonatrach 1974/1980-1990/1995-2000/2006(Algérie) auteur de plusieurs ouvrages et contributions internationales sur la stratégie énergétique mondiale.