La crise est désormais ouverte, notamment, entre Ennahda et l'Union générale des travailleurs tunisiens. Le ministre et porte-parole du gouvernement, Samir Dilou, a reconnu les faits déclencheurs suite aux échauffourées et violences graves de mardi dernier aux abords du siège de la centrale syndicale lors de la manifestation, le 4 décembre 2012, après l'assassinat du leader syndicaliste Farhat Hached. La tension est encore montée d'un cran. La commission administrative de l'UGTT a alors décrété la grève générale pour le 13 décembre. Mais après concertation en haut lieu, la grève fut annulée d'autant qu'elle tombait à pic avec la visite de Hillary Clinton. En revanche, l'UGTT exige du gouvernement de dissoudre lesdits comités de protection de la révolution et de traduire en justice les fauteurs de trouble du mardi 4 décembre. Les syndicalistes ont annoncé en sus le dépôt d'une plainte auprès de l'Organisation internationale du travail (OIT). Des leaders de la centrale syndicale ont exigé également des excuses publiques du mouvement Ennahda au peuple tunisien. En somme, l'UGTT a été réactive tout au long de cette crise. Outrancièrement au regard de certains observateurs. N'empêche. Réclamée par plusieurs personnes, la médiation entre l'UGTT et Ennahda a jusqu'ici échoué. Aujourd'hui, face à cet imbroglio, que faire pour éviter au pays le pire ? Comment ramener tous les protagonistes à la table des négociations, susciter de nouvelles convergences pour favoriser un véritable apaisement et trouver des solutions efficaces à la propagation de la violence politique ? Absolument aucune chance. L'UGTT campe sur ses positions et a émis hier un niet catégorique. Elle refuse toute médiation ou négociation directe avec Ennahda. Dans la même contexte, le Pôle démocratique a proposé, samedi, cette problématique à la discussion de ses militants et militantes ainsi qu'aux Tunisiens intéressés, activant dans la grande famille de la gauche. Alain Gresh, directeur adjoint du Monde diplomatique, a essayé, dans une communication, d'appréhender la problématique en faisant le parallèle entre les deux expériences tunisienne et égyptienne où Ennahda et les Frères musulmans ont récolté, via les élections, les dividendes des “révolutions du 14 au 25 janvier 2011". “Aussi paradoxal que cela puisse paraître, ces deux révoltes où les jeunes ont ‘assumé un rôle majeur' et ont fait ‘montre de potentialités et de compétences' que personne ne pouvait deviner qu'ils en disposaient, les élections n'ont pas permis à ces jeunes d'accéder à des postes de direction ou de responsabilité et c'est la vieille garde qui a tout raflé", n'a pas manqué de souligner le conférencier. “Maintenant que les islamistes se sont installés au pouvoir", poursuit-il, “la gauche, qui a un problème de connaissance des islamistes, qu'ils appartiennent aux tendances modérées ou aux salafistes que plusieurs appréhendent comme étant dures, doit saisir que la stabilisation sociale et politique des sociétés du Printemps arabe passe inéluctablement par l'intégration des forces islamistes en tant que partie incontournable du nouveau paysage politique arabe dans les pays du Printemps". “On a beau dire et répéter que les islamistes usent d'un discours double mais qui parmi les hommes politiques, qu'ils soient de gauche ou de droite, n'use pas des mêmes méthodes, y compris dans les pays profondément ancrés dans la pratique démocratique? Les gauches accusent les islamistes de ne pas disposer d'un programme politique, social et économique mais elles oublient que les partis de gauche n'en ont pas eux aussi", précise encore Alain Gresh. Ceux qui ont voté pour les islamistes, les portant au pouvoir, ceux qui ont renversé les dictatures de Ben Ali et de Moubarak vont-ils refaire le même coup lors des prochaines élections ? Voilà la question à laquelle doivent répondre les gauches arabes. Pour Alain Gresh, l'installation d'une dictature religieuse “est peu probable et les partis de gauche doivent se mobiliser en développant des approches de terrain et en proposant des programmes pratiques à la mesure des besoins réels des populations, plus particulièrement dites privées de développement ou marginalisées". I. O.