Le président de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l'Homme (CNCPPDH), Me Farouk Ksentini, a fait hier un passage très remarqué sur les ondes de la radio Chaîne III où il a haussé le ton en abordant sans tabou certaines questions d'actualité. Il a, en effet, usé d'un ton virulent en abordant à cette occasion une multitude de questions de l'heure. Evoquant la prochaine révision de la Constitution, qui devrait logiquement intervenir en 2013, Me Ksentini a indiqué qu'en plus du président de la République, l'Armée doit être garante de la Constitution. “Dans d'autres pays, je pense à la Turquie, l'Armée a joué un rôle essentiel dans la sauvegarde de la démocratie et la stabilité du pays et je n'ai aucun complexe à le dire à haute voix." “L'ANP doit protéger la Constitution" Selon lui, “l'ANP doit protéger la Constitution de toute possibilité d'être modifiée et/ou d'être malmenée". “Et pourquoi l'Algérie ne serait-elle pas un pays laïc ?", s'est interrogé Me Ksentini, précisant que “le modèle turc ne s'applique pas nécessairement aux pays laïques". “Il n'y a aucun rapport direct entre la laïcité et le rôle attribué à l'armée constitutionnellement", selon lui. Questionné à propos du phénomène du marchandage des sièges des assemblées populaires communales et de wilaya (APC et APW) au lendemain des élections locales du 29 novembre dernier, Ksentini a estimé que “si les tractations sont monnayées alors que les élus ne doivent être guidés que par l'intérêt du citoyen, et je vois que les choses ont été totalement dévoyées et monnayées, ceci est totalement scandaleux et c'est une trahison à l'égard des électeurs qui ont voté pour tel ou tel parti et pour telle ou telle personne car c'est prohibé et la loi est claire à ce propos". Et de poursuivre : “Ceci nous a tous pris de court car c'est un phénomène nouveau et c'est fait avec une telle intensité que ça nous a atterrés." À ses yeux, “il faut que ces pratiques soient stoppées et des poursuites pénales soient introduites contre les fraudeurs car les élections doivent être honnêtes et ne doivent pas être empoisonnées par des tractations de ce genre qui ont un caractère mafieux". “Tout se monnaie actuellement" Si Me Ksentini concède dans ce cadre que la loi électorale peut “ne pas être parfaite", il estime que “cela ne doit pas justifier ce genre de marchandages électoraux qui sont illégaux et immoraux". Abordant la dépénalisation de l'acte de gestion, il expliquera qu'“il ne faut plus que nos gestionnaires soient rendus frileux et craintifs comme ils le sont : ils sont paralysés". Selon lui, “il faut absolument que les choses soient revues le plus vite possible". À plus forte raison que l'Algérie est, selon lui, connue à l'extérieur pour sa corruption et sa bureaucratie. “Il faut nous débarrasser de cette image, nous ne connaissions pas ce phénomène de corruption dans les années 1960, tout se monnaie actuellement", argue-t-il tout en évoquant la note attribuée à l'Algérie dans le dernier classement élaboré par l'ONG Transparency International. Interrogé sur la situation des droits de l'Homme en Algérie, l'invité de la radio soulignera que “l'Etat de droit commence par une indépendance de la justice". Or, à ses yeux, “il y a un immobilisme sur la question de l'abus dans la détention provisoire". Justice : de mal en pis “Cela relève d'une culture qui est difficile à combattre et les choses ne s'améliorent pas. Bien au contraire, souvent, elles sont en train d'empirer et nous nous heurtons à un mur en béton." Dans ce cadre, Me Ksentini a déploré la non-application des propositions contenues dans le rapport de Mohand Issad sur la réforme de la justice. “Il faut réformer ce qui a été fait et ce qui a été mal fait ; la justice doit renforcer son indépendance et le code de procédure civile et administrative est un texte inadmissible qui, à l'épreuve du temps, s'est avéré catastrophique." Me Ksentini préconisera son retrait pour “revenir à l'ancien texte en y ajoutant des modifications". “Ce texte ne contient que des incohérences alors qu'il nous a été présenté comme un texte novateur", insiste-t-il. Abordant la nouvelle loi portant profession d'avocat, Ksentini n'a pas manqué de critiquer certaines de ses dispositions. “Il y a deux dispositions complètement débiles dont il faut se débarrasser et contre lesquelles les avocats, à juste titre, se sont insurgés." Des “dispositions débiles" à revoir “Les articles contestés sont ceux qui fragilisent l'avocat à l'audience et qui le mettent sous la coupe du procureur de la République", dit-il, en soulignant que “le procureur de la République n'est qu'une partie au procès" et qu'il soutient ceux qui militent “pour que la qualité de magistrat soit retirée au procureur de la République". À ses yeux, “le magistrat est le juge, le procureur celui qui poursuit. Il faut absolument lui trouver une autre appellation, lui enlever le pouvoir d'attaquer à l'audience ou de prendre des mesures en matière de poursuite à l'encontre d'un avocat", explique-t-il avant de noter que “lorsqu'un avocat plaide, il est sous le contrôle du magistrat qui préside l'audience. Il ne peut pas être livré à la bonne ou à la mauvaise humeur du procureur de la République". “Le ministre de la Justice et le Premier ministre ont convenu de la nécessité de retirer ces dispositions", a-t-il indiqué. S'agissant des dépassements liés à la garde à vue, Me Ksentini a préconisé la surveillance des agents des forces de sécurité pour prévenir les dépassements. “Il faut déléguer des magistrats pour surveiller la régularité des opérations d'interpellation au niveau des commissariats de police et des brigades de gendarmerie", estime-t-il. Plus fondamentalement à propos des réformes engagées récemment et qui recèlent des carences, Me Ksentini a évoqué la loi sur l'information. “Cette loi doit être élaborée par les professionnels eux-mêmes." N M