“J'ai reçu la médaille militaire des mains du général de Gaulle. Deux de mes frères sont morts en combattant les Allemands”, a-t-il déclaré dans un entretien à L'Humanité. Recalé et inconsolé de ses échecs répétés, Ahmed Ben Bella soufre aussi d'une blessure narcissique qu'il n'a pas réussi à soigner. Alors, le “raïs” oublié des Algériens croit pouvoir se guérir en se rappelant à leur bon souvenir. Et de quelle manière, sinon par la bêtise, le seul argument qu'il sait manier ! Après avoir proclamé sa marocanité dans une dérisoire tentative de heurter le sentiment nationaliste de ses compatriotes ainsi ahuris de découvrir qu'ils ont été dirigés par un étranger, le voilà revenu à la charge. Toujours avec le même souci d'attenter à ce sentiment nationaliste, il va tenter de souiller la mémoire d'une des figures qui l'ont le mieux incarné. Celle de Abane Ramdane. Le “zaïm” a joint sa voix à celle d'un autre chef d'Etat qui avait inauguré ce bal des cancres et dont les Algériens n'ont gardé en mémoire que son acharnement à vouloir rester dans sa résidence présidentielle quand sonna l'heure de son départ. On aura reconnu Ali Kafi. Les divagations de Ben Bella se sont brisées sur les réactions indignées de dirigeants de la Révolution. Elles ont aussi trouvé une réplique cinglante de la veuve de Abane Ramdane. Excessive ? On pourrait le penser. Pourtant, observées à la lumière de récentes déclarations de Ben Bella, les accusations de Mme Abane ne semblent pas du tout relever du ressentiment. Dans un entretien accordé le mois dernier au quotidien français L'Humanité, l'ancien président rappelle avec une certaine fierté sa mobilisation dans l'armée d'une République française pour laquelle il n'hésite pas à déclarer sa flamme. “J'ai reçu la médaille militaire des mains du général de Gaulle. Deux de mes frères sont morts en combattant les Allemands. Plusieurs de mes cousins sont tombés pour la France. J'étais à Monte Cassino. J'ai d'abord combattu en France, à Marseille, dans la défense antiaérienne. C'était en 1940. En 1942, j'ai participé à la campagne d'Italie en compagnie d'officiers français de grande qualité qui avaient tenté de rejoindre de Gaulle à Londres”, a rappelé Ben Bella sans regret au sujet de cette mobilisation dont on ne peut pas dire qu'elle était forcée. Comment pouvait-elle l'être ? Bien sûr que des milliers de Nord-Africains ont combattu pour la France. Mais ce n'était bien sûr pas leur choix. Ce qui ne semble pas être le cas de Ben Bella. “J'aime la France parce que j'aime le génie de la France. Je l'aime aussi parce que des hommes et des femmes, des avocats notamment, et beaucoup de militants sont devenus des frères et des sœurs. Je pense aux 120 intellectuels qui ont signé un appel qui m'a définitivement guéri du racisme. La France, c'est aussi une immense culture. Voyez la différence avec les Etats-Unis. Les Nord-Américains ont à peine un peu plus de deux siècles d'Histoire. Ils sont passés de l'état primaire à la Nasa. Ils ne peuvent revendiquer Racine, Corneille, Victor Hugo. Si on demande aux Algériens avec qui souhaitez-vous avoir des relations, huit sur dix vous diront avec la France”, affirme Ben Bella. S'il n'était animé de cette animosité envers Abane Ramdane, Ben Bella aurait pu passer, par ces propos, comme le précurseur d'une relecture salutaire de l'Histoire du mouvement national. Cette histoire n'a de cesse d'être enjolivée. Souvent de manière falsifiée, non pour exalter la Révolution, mais pour détourner l'accaparement de ses fruits. Mais tel n'est certainement pas le souhait de Ben Bella. Ses “agressions” ne resteront pas sans dommage dans un pays où l'identité nationale, largement définie par opposition à la France, n'est pas encore parachevée. A. O.