“Saisie record de drogue effectuée avant-hier par des éléments de l'ANP" à Sétif. Cette annonce datant du 22 février dernier est un prototype des nouvelles auxquelles nous nous sommes accoutumés. Prenons le 2 décembre : “Saisie de plus de 23 quintaux de kif à Oran", “Saisie de 23 quintaux à Tlemcen"... La drogue est la marchandise qui circule et qui bénéfice du circuit de distribution le plus achevé, puisqu'on en trouve jusque dans les cours d'école. Avant-hier, les habitants de Tiaret se sont révoltés. Pas contre les dealers. Pourtant il y en a à Tiaret. Forcément. Comme partout dans le pays, aujourd'hui, jusque dans le dernier des villages les plus enclavés d'Algérie. Non, ils ont “coupé la route", comme le veut le nouveau manuel du parfait contestataire algérien, parce qu'un bar a ouvert. Pas trop loin d'une école, ce qui rend plus soutenable la révolte. La vigilance “citoyenne" envers le fléau de l'alcool n'a d'égale que l'insouciance populaire devant le défi de la drogue. C'est là l'expression du civisme d'un peuple “terrorisé" : le dealer et son pourvoyeur sont des délinquants dangereux ; le tenancier de bar est un commerçant établi soumis à l'autorité de l'administration. Il est bien moins risqué de s'attaquer au second qu'au premier. Pourtant, l'alcool est proposé aux adultes dans un espace contrôlé et dédié à sa consommation et la drogue s'attaque aux enfants et adolescents dans des espaces dédiés à l'instruction, à la culture et au divertissement. Mais plus pernicieux que cela, la drogue ne semble pas être expressément prohibée par la religion, contrairement à l'alcool. La lâcheté populaire s'en trouve alors opportunément justifiée. On s'occupe de ce qui est haram pour les adultes, faute d'avoir le courage de s'occuper de ce qui est dangereux pour les enfants et les jeunes. On retrouve l'expression de cette indignation sélective dans le reste de l'actualité criminelle. Des voix s'élèvent pour revendiquer l'application de la peine capitale aux assassins de la gamine de Mahelma. Le meurtre gratuit et intolérable d'une enfant ne peut susciter, en effet, que colère, indignation et appelle à la plus grande rigueur dans l'application de la loi et du châtiment qu'elle autorise en pareilles circonstances. C'est l'occasion de faire l'effort de s'extraire de l'émotion du moment et de se rappeler que le meurtre d'enfants — et de bébés — fut pratiqué en Algérie, il n'y a pas longtemps — quelques années seulement — à une échelle jamais observée dans une autre société. Leurs auteurs, “repentis", tiennent commerce dans toutes les villes du pays et jouissent parfois de la considération due au combattant revenu du front. À fin avril 2002, seize personnes, dont trois fillettes de dix à treize ans, deux adolescents et... huit bébés ont été égorgés au lieudit Rakbat el-Halouf, dans la commune de Feidja, dans la wilaya de Tiaret. Nulle trace de manifestation indignée à Tiaret, à cette époque, ni ailleurs. Il faut rappeler que c'est pour suspendre l'exécution d'une partie des poseurs de bombe de l'aéroport que l'Algérie a consenti à respecter la recommandation des Nations unies pour un mémorandum sur l'application de la peine de mort. Là, non plus, nulle trace de désapprobation populaire ou d'objection de la part d'élites émues. Il y a des moments comme ça où s'il l'on ne parle pas, le mieux est de se taire à jamais. M. H. [email protected]