Publié aux éditions Laphomic en 1987 dans la collection “Itinéraires", l'entretien accordé par Mouloud Mammeri à Tahar Djaout est d'un étonnant concentré de questions-réponses aussi diverses que pertinentes réparties sur cinq chapitres indissociables les uns des autres. Tahar Djaout a réussi à cerner l'homme de lettres mondialement connu mais, hélas, longtemps nié dans propre pays. Sans nul doute que Tahar tenait à fracasser cette censure dont a été longtemps victime le doyen des écrivains qui fut pourtant, dès 1962, le premier président de l'Union nationale des écrivains algériens. Mais Tahar ne comprend pas “pourquoi ce silence des médias autour d'un auteur aussi capital et aussi lu, traduit dans onze langues, pourquoi ce refus d'aborder de front un intellectuel qui ne manque pas d'intérêt, de discuter des idées et des œuvres de cet écrivain en dehors de certaines polémiques biaisées ? Si l'homme Mammeri est parfois jugé, l'écrivain est rarement commenté". Qu'est-ce qui était réellement appréhendé par ses censeurs, l'écrivain ou l'homme ou encore les deux à la fois ? Djaout déclare qu'il s'est vu obligé d'adopter certains raccourcis car, dira-t-il, Mammeri n'est pas un écrivain débutant mais un intellectuel polyvalent dont la carrière s'étant sur plus de trente ans et donc qu'il était difficile de passer en revue toutes les facettes de cette carrière. Mouloud Mammeri revient souvent sur ce qui lui paraissait être l'événement initiatique de tout ce qu'il entreprendra dans sa carrière pluridisciplinaire. Il dit être arrivé à un moment où finissait un monde et où commençait un autre. Le premier tenait d'un monde rural où il naquit un 28 décembre 1918. Dans ce monde la ruralité ne diminuait en rien l'importance de la science que mettaient ses aèdes à faire dans le verbe. Le second tenait de l'ouverture sur cette nouvelle langue qu'est le français. Deux mondes fait de deux langues et donc de deux modes de pensée que Mammeri côtoiera directement auprès de son père. Il dira à Djaout : “Mon père récitait et a tenu à me communiquer les milliers de vers berbères qu'il connaissait mais, si étrange que cela puisse paraître, il récitait Waterloo avec une ferveur que moi, professeur de lettres classiques, je n'ai jamais pu y mettre... Pour lui, il n'y avait pas à distinguer entre Youcef Ouqaci et Victor Hugo... Une culture pour lui (son père) pouvait être étrangère ; elle ne pouvait pas être ennemie." Dans le même ordre d'idées, Mammeri évoque avec enthousiasme l'ouverture qui lui a permis d'avoir eu Jean Grenier comme professeur de philosophie, il confiera également à Djaout : “Aucun écrivain ne m'a autant touché que Taha Hussein, avec lequel j'ai eu la chance de m'entretenir longuement, peu de temps avant sa mort." C'est ainsi que Mammeri se saisira des modes d'expression scripturaire avec lesquels et dans lesquels il produira des anthologies d'intérêt universel... non encore saisies totalement. A. A. [email protected]