Résumé : La femme qui m'avait agressée ne l'avait même pas fait pour mes idées. C'était juste une réaction légitime de sa part, envers les femmes jeunes et instruites. Nous étions toutes pour elle des voleuses d'hommes. Deux années auparavant son fils la quittait pour faire sa vie... Refusant de déposer plainte contre cette malheureuse, je demande sa libération. D'autres associations ne cessaient d'appeler, ou d'envoyer des e-mails... Quelques femmes d'affaires, des politiciennes et même des femmes au foyer, s'étaient déplacées jusqu'à la rédaction pour avoir de mes nouvelles. Je ne pouvais recevoir tout ce monde, j'étais cependant heureuse de tout cet élan de sympathie que mon agression avait suscité. Ayant passé une nuit cauchemardesque, je décide de rentrer chez moi, je repense à Youcef et à son entêtement. Pourquoi a-t-il donc préféré dormir sur la tapis du salon, et non dans son lit ? Je connaissais déjà sa réponse au cas où je lui en poserais la question : pour ne pas me déranger. Mais j'étais frustrée, frustrée à l'idée que mon mari ne voulait plus de moi... Il était, certes, un peu en colère, mais ceci n'explique pas, ou ne justifie pas son comportement de la nuit dernière. Et puis, et puis quoi... Il avait pratiquement passé la nuit à l'extérieur, en prétextant cette couverture. Ce débat politique auquel je n'en crois pas un mot. Je conduisais d'une main nerveuse. Je voulais arriver chez-moi avant le départ de la nurse. D'habitude c'était Youcef ou quelqu'un d'autre qui gardait Mehdi jusqu'à mon retour. Ces derniers jours, j'étais si occupée que souvent je faisais appel à ma belle- sœur ou à ma mère, mais je n'étais pas fière de moi, non vraiment pas fière... J'étais devenue esclave de mon métier et de mes idées libératrices. Malgré ma réussite et mon succès, il était temps que cela change, il était temps de déposer les armes et de céder le terrain. Mais je savais que mon retrait de la rubrique féminine ne sera pas facile. C'est un fardeau que j'avais moi-même édifié sur mon propre dos ! Qui voudrait donc le reprendre ? Je ne me plains pas de ma carrière journalistique. Bien des jeunes femmes de ma génération auraient aimé avoir mon parcours et un CV aussi riche que le mien. J'étais encore jeune et ambitieuse aussi. Peut-être vais-je lancer un autre “jeu" médiatique... Je souris à cette pensée, ma rubrique n'était pas un jeu. Elle était trop sérieuse, trop profonde, et trop pénalisante aussi. J'ai contribué à rehausser le prestige de la femme. J'ai redonné l'espoir à des femmes opprimées et moi... ? Je jette un coup d'œil à mon visage dans le rétroviseur du véhicule. Je n'étais pas belle à voir, avec mes pansements sur le crâne, les contusions sur mes joues et mes lèvres sèches... Depuis quelque temps déjà je ne me maquillais plus, je ne faisais même pas attention à ma silhouette. Je mangeais du n'importe quoi à n'importe quel moment, j'avais des bourrelets autour de la taille, et un double menton. Le constat m'effraie, je n'avais plus de féminité, rien, même pas un effluve de parfum. Je ne me rappelle plus quand j'étais passée chez ma coiffeuse. Mes cheveux en broussaille poussaient dans tous les sens.Youcef me fuit, il avait raison, je ne ressemblais plus à une femme, plus à la jeune insoucieuse qu'il avait connue, aimée et épousée. Je vais changer ! Je donne un coup de frein rageur : Je vais changer. Et de comportement, et de tête. Je ne devrais pas laisser le temps m'emporter comme une feuille morte dans un tourbillon d'évènements plus débiles les uns que les autres. Je passe à l'hôpital où on procéda au changement de mes pansements. La plaie s'était refermée, il n'y avait aucune crainte d'infection. L'infirmière se contenta de déposer un petit carré blanc sur un côté de ma tête : - Là, on le voit moins ce pansement, vos cheveux sur les côtés vous aident à le camoufler... - Vous avez rasé une belle touffe de ce côté-là. - Il le fallait bien, nous ne pouvions pas suturer la plaie sans cela. Et puis, les cheveux repoussent vite. Votre coiffeuse se fera un plaisir de vous changer de tête tout en camouflant votre blessure. Je rentre à la maison au bon moment. La nurse s'apprêtait à partir. Mehdi regardait des dessins animés à la télévision. Il était aussi sage qu'un ange. Je me demandais si je devrais appeler Youcef pour lui proposer une sortie. Un dîner en famille, histoire de changer un peu notre quotidien devenu trop routinier. (À suivre) A.H.