“Adrar inu", le nouvel album d'Idir. Le 6e en quatre décades de carrière. Une carrière qui a pris son envol en 1973. Soutenu, aidé et propulsé comme ambassadeur de la chanson kabyle, Idir fut le porte-voix d'un peuple engagé dans un combat homérique pour sa survie. Pour son dernier album, “Adrar inu", Idir rompt le silence. Il parle à lui-même dans des chansons personnelles. Il s'adresse à son public à travers la reconquête de “sa personnalité" artistique qu'il a forgée tout au long de sa carrière. Il se réapproprie un espace déserté, certes, depuis que “Identité" et “la France des couleurs" ont pris le dessus sur un artiste sorti directement des méandres de la culture orale kabyle qui a fait de lui un étendard. “Saïd Oulamara" donne le la. T'bel, bendir et flûte s'entremêlent sous un air de fête inspiré d'une tradition folklorique qui l'a bercé des décennies durant. S'ensuivra “Adrar inu" (ma montagne), le titre phare de l'album, où l'artiste se remémore son enfance. C'est cette montagne qui l'a vu naître et grandir qui revient dans cette chanson, à laquelle la fille de l'artiste Thanina, agrémente de sa voix “la réconciliation" entre un homme et sa montagne. Omniprésente, cette même montagne chantée, fêtée et adulée par tant et tant d'artistes, où chacun y inspire verve et réconfort, idir en a fait une source de vie. Il y compense son absence, recolle ses morceaux et regrette son divorce, avant de repartir plus au sud, avec “Tughac n'wanzul" (musiques du Sud). Hommage et reconnaissance aux hommes et femmes du Sud. Idir y pose sa prose sur une rythmique bien de chez eux (nous), pour accomplir cette complainte au désert. “Ccac I-lwiz" (joli foulard), où l'artiste reprend son exercice en mettant au goût du jour un air traditionnel, sur lequel il révèle que c'était Mouloud Mammeri qui le lui avait révélé. Remontrance, joie et fidélité, Idir replonge dans “son égo" pour dire à sa fille tout ce qu'un père pouvait aussi dire, à travers la chanson “Sans ma fille". Confessions et confidences, mêlées d'angoisse de voir partir un être cher vers une nouvelle vie. “Ssig tafat" (plaisir d'amour), l'artiste évoque, non sans nostalgie, un vécu au milieu des siens. “Ibeddel zzman" (les temps changent), un hommage à Ahcène Mezani. “Tajmilt i Ludwig" (clin d'œil à Ludwig), “Uffig" (sept garçons), “Targit" (le rêve). “Tayemmatt" (la maman), sont autant de titres que propose l'artiste. Ce nouvel album n'est pas comme les autres. Il est d'un tempérament naturel et sensuel. L'artiste y met une touche d'honneur pour reprendre son dû. Dans cet album, des contraintes poétiques sous-tendent une immunité musicale. L'artiste y chamarre et y orne une vive tension interne faite de compensation de gestes ratés et de non-reconnaissance à une langue qu'il dit ne pas transmettre à sa progéniture. Ni mordant, ni trille, et point de replâtrage sur le plan musical. Il y associe une prose féconde, intime et viscérale aux notes inspirées, jouées et modelées sur une image harmonieuse et mélodieuse. Comme un paradoxe, Idir disait que le lien avec sa Kabylie, n'était que sa défunte mère. La mort d'une mère n'est jamais une fin. Mais un temps d'arrêt. Une suspension du souffle, mais c'est dès lors qu'Idir replonge dans sa montagne, la caresse de rêves, la chante, la supplie et la convoque. Sa défunte mère, présente dans cet album où elle fredonnait pour la postérité quelques vers bien de chez nous, mérite cet hommage. Un hommage et une reconnaissance éternelle à celle qui a effacé les autres couleurs du chant de son fils, pour y apposer celles de chez elle... M M